Il y a des récits de naissance assez inattendus, surprenants, voir même rocambolesques. L’histoire de ta venue au monde est, quant à elle, exceptionnelle. Bien sûr celle-ci est exceptionnelle parce que tu es unique, parce qu’elle marque le commencement de ta vie ou parce que c’est le début du grand bonheur de ta présence. Mais j’oserai dire que ces sentiments fleurissent chaque naissance d’un foyer attentif et bienveillant.
Il ne s’agit pas ici de relater quelques anecdotes ou broutilles que bon nombre de grossesses et d’accouchements possèdent. Il s’agit de te refaire vivre des événements à la fois fantastiques et dramatiques, que tu as vécu intensément, mais que le temps a certainement estompé.
Tu en connais certainement déjà une bonne partie, par toutes les discussions que nous aurons pu avoir avec toi depuis ta naissance. Dans ces lignes, tu trouveras le récit brut, non déformé par le temps. Des souvenirs et des impressions récentes. Une véritable histoire de vie, dans tous les sens du terme.
Le point de départ de cette aventure se situe au mois de mai 2005. Cela faisait quelques temps que ton père et moi voulions donner un petit frère ou une petite sœur à Appoline. Des contretemps professionnels nous avaient conduis jusqu’à ce 01 mai, où, sans le savoir, nous avons conçu le futur grand événement. La première surprise fut de constater que j’étais enceinte très rapidement. Pour ainsi dire, quinze jours seulement après l’arrêt de la contraception. Nous étions très étonnés et très heureux que la vie exhausse si vite notre souhait. Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises.
Le premier rendez-vous chez la gynécologue était programmé le 07 juin. Je n’oublierai pas cette date car elle correspond à une annonce particulièrement inattendue. Je revoie encore le docteur devant l’écran de l’échographie, observer, analyser, et me dire avec un air interrogateur : « j’en vois deux… » !!! Effectivement, sans doutes possibles, il y avait bien deux fœtus dans mon ventre. Deux fœtus !!! Deux enfants !!! Des jumeaux ??? Cela me paraissait impossible. Il n’y en n’avait pas dans la famille et il n’y en n’avait jamais eu !
Nouvelle renversante. J’étais à la fois folle de joie et morte d’inquiétude. Quelque chose me disait que c’était vrai, mais aussi que cela n’allait pas durer. « Je vais en perdre un ?? » demandais-je au médecin. Bien sûr il me rassurait, mais impossible de retenir cette appréhension qui me disait que cela ne durerai pas. Une sorte de prémonition ou de sixième sens peut-être…
Comment annoncer cela à ton père. Lui qui redoutait depuis notre rencontre le fait d’avoir des jumeaux. Ce fut le choc. Mais la première échographie officielle début juillet, nous permit de constater que vous étiez en pleine forme. Deux si belles petites vies en préparation. Nous étions fiers et heureux. Nous serons bientôt cinq à la maison. Le principal disions nous, c’est que les bébés soient en bonne santé… en bonne santé, c’est évident…
Les semaines passaient et je gardais, au fond de moi-même, cette appréhension. Je me raisonnais, en pensant qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. J’avais déjà eu un enfant et tout c’était bien passé. Et pourtant, je restais inquiète…
La deuxième échographie était prévue début septembre. Nous étions surpris que le docteur nous demande de revenir quinze jours plus tard pour avoir une meilleure maturation des organes. Cependant, et pour ne pas nous être déplacés pour rien, il regarda les sexes… « Il semblerait que le premier possède un zizi »… un garçon !!! Le regard de ton père en disait long. « Pour le deuxième, il nous cache ses organes génitaux, il faudra attendre la prochaine échographie. » Pourvu que ce soit une fille. Un garçon et une fille, ce serait le paradis.
Quinze jours plus tard, nous revoilà devant ce fameux écran d’échographie. « Le bébé de droite est en pleine forme. Il est décidé à nous dévoiler son sexe cette fois-ci : c’est une fille !!! »
« Le bébé de gauche est bien un garçon. » Nous sommes aux anges…le paradis avant l’enfer…Dans son élan, l’obstétricien tout à coup s’arrête, insiste au niveau du cœur, se tait et essaie de ne pas paraître inquiet. Un silence interminable et puis quelques mots dis doucement : « Je vais vous demander d’aller consulter un spécialiste cardiaque… ». Il y a visiblement un problème sur le cœur du petit garçon. Après quelques questions, il nous avoue suspecter un hypoventricule gauche.
Il n’ y a pas de mots pour expliquer ce que l’on peut ressentir à ce moment là. Le monde s’écroule. Notre petit garçon est atteint d’une malformation cardiaque. Il est étonnant de constater que, malgré des efforts certains pour ne rien laisser paraître, on pouvait lire sur le visage de l’obstétricien l’issue fatale de ce diagnostic. Comme un instinct qui nous dis que quelque chose de très grave se passe.
Le spécialiste ne fit, hélas, que confirmer ce terrible diagnostic. Nous étions effondrés. Notre petit garçon n’aura aucune chance de survie à long terme après sa naissance. Néanmoins, son développement in utero serait excellent. Comment peut-on porter à la fois la vie et la mort ? Pourquoi cela nous arrive t-il ? C’est tellement injuste. Contre qui pouvons nous en vouloir ? Qu’avons-nous bien pu faire pour mériter une telle punition ? Pourquoi …
A partir de cette annonce, notre vie a totalement basculé. Nous sommes entrés dans la période que j’appelle « Evidemment » en référence à la chanson de France Gall qui retranscrit si bien nos sentiments. Nous nous occupons des affaires courantes, nous vivons, nous rions même parfois, mais toujours avec au fond de nous cette terrible douleur.
Après avoir voulu l’espace d’un instant que tout s’arrête, pour ne plus voir ce ventre rebondi qui me faisait tant souffrir, nous décidions de nous battre pour sauver la petite fille. Elle n’avait à priori rien d’anormal. Il fallait lui donner toutes ses chances. Elle était devenu notre nouveau souffle, un chef de bataille, un espoir qui nous laissait présager des jours meilleurs. Nous étions loin de nous imaginer alors, que le petit garçon nous apporterait lui aussi beaucoup de bonheur.
Le développement du garçon in utero ne présentait pas de risques majeurs pour la fille. Il était donc inutile, voir dangereux de réaliser une interruption sélective de grossesse. Il ne restait qu’une solution : mener à terme la grossesse et mettre au monde les deux bébés, en mettant le maximum de chance sur la petite fille. Il nous restait au moins trois mois à tenir. Une éternité !!!
Chaque examen ou visite médicale était une torture. A chaque fois, nous redoutions qu’une malformation soit décelée sur notre petite puce. A chaque fois, le diagnostic létal était confirmé sur notre petit garçon.
L’équipe médicale qui nous entourait était exceptionnelle. Elle était à la fois à l’écoute, attentive à notre détresse, et très professionnelle. Elle nous guidait dans les choix difficiles. Elle nous faisait avancer vers l’inévitable processus de deuil qui nous attendait. Elle nous préparait à l’immense joie de ta naissance.
Sans aucun recul, nous savions qu’être suivi à Jeanne de Flandre était une très grande chance. Nos interlocuteurs débordaient d’humanité et de respect. Deux mots nécessaires à notre préparation de deuil. Ils disaient que toutes les décisions que nous prenions étaient ou seraient les bonnes. Ils avaient tellement raison…
En trois mois de temps nous avons énormément évolué dans notre vision des choses. La douleur si vive du départ, se transforme en combat puis en fatalité. Nous avons pris des décisions que nous n’aurions jamais imaginé aborder quelques semaines plus tôt. Il est même quasiment certain que nous avons réagi à l’encontre de ce que nous imaginions devoir faire en de telle situation. Mais ici il s’agissait de nos enfants, de nos vies. Et cela changeait tout.
Porter un enfant que l’on sait condamner est certainement la pire chose qu’il puisse arriver à une maman. Je pleurais si souvent. Cette situation va à l’encontre des instincts de survie et maternel. Au dessus du sentiment d’injustice déjà destructeur, se rajoute celui d’impuissance. Comment des parents peuvent-ils regarder leur enfant mourir sans pouvoir réagir…Nous qui donnerions tout pour nos petites têtes blondes, nous devons admettre que nous ne pouvons rien faire. Nos enfants sont notre avenir, comment admettre qu’ils partent avant nous ? Admettre mais pas accepter. S’y préparer le mieux possible, en sachant que le concret ne tarderait pas à nous rattraper.
Notre entourage réagissait de façon très hétéroclite. Certains nous évitaient ; comme si nous portions la poisse, ou peut-être parce qu’ils avaient peur de leur propre réaction face à un tel drame. Eviter le sujet était un détournement facile (mais au combien simpliste) contre la douleur. D’autres nous aspergeaient de remarques ou de conseils plus déplacés les uns que les autres. Quelques uns heureusement nous soutenaient par des mots, des gestes ou de délicates intentions qui exprimaient simplement leur présence et leur soutien auprès de nous. Néanmoins, quelque soit les façons dont nos familles, amis et collègues réagissaient, nous ne leur en tenions pas rigueur. Après tout, chacun réagit selon ses convictions, son propre vécu et ses sentiments. Chaque échange, même maladroit, nous faisait avancer dans notre démarche et nous aidait à nous préparer. Et puis, comment aurions nous réagi si cette situation était arrivée à un de nos amis ?
Je feuilletais les catalogues pour te choisir de beaux petits pyjamas et une jolie chambre. Je me renseignais en parallèle sur les modalités d’obsèques et sur les démarches administratives qui en découlent. Un paradoxe complet. Passer des joies aux larmes, sans aucune transition.
Nous devions préparer aussi Appoline à vivre ce drôle d’événement. Elle attendait un frère et une sœur et percevait très intelligemment notre détresse. Il nous a été difficile de trouver les mots justes. De lui expliquer que la mort faisait partie de la vie. Elle avait des difficultés à comprendre pourquoi le petit frère était « malade » et ne vivrait pas. Elle se posait des questions sur son devenir après sa mort. Finalement, elle était arrivée aux mêmes problématiques que nous. Ces questions qui nous faisaient tellement souffrir depuis des semaines. Sa joie de vivre et son innocence nous réconfortaient chaque jour. Elle nous maintenait à la vie et nous empêchait de nous effondrer sur notre chagrin.
Nous en sommes arrivés à choisir vos prénoms. Pour le petit garçon, le choix ne fut pas difficile. Nous avions toujours rêvé d’avoir un petit Valentin. Notre petit ange s’appellera donc ainsi. Pour la petite fille, c’est papa qui trouva le prénom de Noémie. Celui-ci signifie « celle qui a reçu la grâce divine ». « Cela lui portera chance » pensions nous. Une façon comme une autre de conjurer le mauvais sort. Et puis, ce prénom est si doux et rempli de tendresse. Tout ce que nous voulions t’apporter. Tu t’appellerais donc Noémie.
Valentin grossissait beaucoup plus que toi. Il profitait bien de sa vie in utero. Je me disais qu’il avait bien raison ; après tout, il ne profiterait pas de la vie tout court. Cependant, nous étions un peu inquiet de ta bonne santé.
Nous pouvions décider d’euthanasier Valentin juste avant sa naissance. La médecine nous l’autorisait. Cela serait certainement plus simple à première vue. Un mauvais moment à passer, et puis on oublie bien vite… Nous avons refusé, au grand bonheur des obstétriciens qui nous suivaient. Nous voulions connaître ce petit être que je portais depuis 8 mois. Papa voulait tenir son fils dans les bras. Nous voulions laisser faire la nature, en sachant qu’il ne souffrirait pas. Nous avions des choses à partager, sans aucuns doutes. Nous allions donc l’accompagner pendant sa petite vie, et lui apporter tout ce que nous pouvions. C’est la plus difficile et la meilleure décision que nous ayons prise …
Votre naissance était prévue pour la première semaine de janvier. Je rentrai à la maternité après les fêtes pour déclencher l’accouchement. Mais cela était sans compter sur votre empressement.
Le 31 décembre au soir, nous fêtions simplement le réveillon avec papy et mamie ainsi que Christine et Dominique. Nous tenions à dire adieu à cette année 2005 qui nous avait si peu gâtée. J’étais extrêmement fatiguée. Au-delà de la fatigue morale, la fatigue physique d’une grossesse gémellaire se faisait sentir depuis quelques semaines. Le matin même, j’avais joints la maternité pour leur signaler des pertes anormales. Un bouchon muqueux volatil visiblement, rien de bien inquiétant pour cette fin de gestation. Vers 23 H 30, épuisée, je me rendais dans la chambre pour me reposer. Je vis ainsi passer la nouvelle année sous la couette. Je vous disais bonne année à tous les deux à travers mon ventre. Peut-être est-ce la raison qui vous a poussé à nous rejoindre. Vous vouliez certainement nous souhaiter une bonne année à votre tour. A 0 H 40, je perdais les eaux…
Après avoir abandonné les grands-parents, oncle et tante chez nous pour la corvée de vaisselle, nous sommes arrivés à la maternité à 1 H 20. Les contractions se faisaient sentir de plus en plus. Pas de doutes, nos deux chérubins allaient pointer le bout de leur nez ce dimanche 01 janvier. « Vous êtes à trois centimètres et les enfants sont bien positionnés » nous rassure la sage-femme. En route vers la salle d’accouchement. Il est déjà 2 H 00. Quelques démarches plus tard et monitoring plus loin, nous voilà seuls dans cette immense salle. Les contractions sont de plus en plus fortes et nous attendons l’anesthésiste pour la péridurale.
2 H 30. Voici enfin l’anesthésiste. La sage-femme regarde le col : 6 centimètres. Il y en a encore au moins pour 2 heures… 2 H 40, la péridurale est posée : « vous serez soulagée dans 15 à 20 minutes, madame » me dit gentiment l’anesthésiste. A peine le temps de me rasseoir, de rapatrier tout le personnel et de m’accrocher à papa…2 H 45 : Valentin montre le bout de son nez !!!
Il pleure de tous ses poumons. Il a des traits très masculins et n’a rien d’un petit bébé chétif. Il est magnifique. Deux kilos et 900 grammes pour 48 cm.
2 H 55 : Voilà notre petite Noémie. Tu te présentes en siège et l’obstétricienne te sort encore dans ton cocoon. La sage-femme te dépose assisse sur mon ventre. Tu ne respires pas. « Je vais devoir vous l’enlever » dit gentiment la sage-femme. Je pose instinctivement mes mains sur ton ventre et je te dis tout doucement : « Allez ma belle, respire ». A cet instant, tu ouvres très grand tes yeux et tu recraches vigoureusement le liquide de tes poumons. Tu nous observes du haut de ton perchoir avec une moue très dubitative. Tu nous fais déjà rire par ta non-chalance et ton regard curieux et malicieux. Pas un cri ni une larme alors que ton frère s’épuise en pleurs à côté. Ton surnom te colle à la peau : « c’est une bienheureuse ! » dis le pédiatre. Noémie la bienheureuse ! A peine deux kilos et 80 grammes pour 44 cm. Une véritable petite poupée.
3 H 00. La péridurale se fait sentir. Vous êtes déjà nés tous les deux. L’anesthésiste n’a pas menti, je suis bien soulagée 20 minutes plus tard !
Vous êtes à côté de nous. En pleine forme. Nous sommes soulagés de te savoir en bonne santé. Nous sommes si heureux. Cette naissance un premier de l’an qui se déroule à merveille, vos deux petites mines si belles et la satisfaction de vous avoir tous les deux pour nous pendant quelques temps nous comblent de joie. Nous sommes très fiers. Vous sucez chacun vos doigts avec empressement. De façon fugace même, vous vous échangez vos mains mutuellement. Au cas où celle de l’autre serait meilleure sans doute. Nous oublions, l’espace d’un instant, que Valentin nous serait bientôt retiré.
Lorsque je vous donne le sein pour la première fois, je pense que nous avons pris une sage décision de laisser faire la nature. Je rêvais de cet instant de partage avec chacun d’entre vous depuis des semaines. Rien que pour ces quelques minutes, je ne regrette pas notre choix.
On nous attribue une chambre relativement isolée, proche de la nurserie. Nous allons être aux petits soins pour nous, c’est évident. Papa reste avec nous jours et nuits.
Les deux jours qui suivent votre naissance, nous nous trouvons dans l’euphorie de votre arrivée. Nous réapprenons les gestes de soin et de toilette que nous avions un peu perdu de vue. Nous nous émerveillons de chacun de vos rictus, comme tous les parents.
Le mardi 03 janvier dans l’après-midi, Valentin fait un léger malaise. C’est la déchirure. Sa malformation nous rattrape. Nous avions oublier, de façon fugace, que Valentin devait mourir. Ce fut un véritable électrochoc. A partir de cette première alerte, nous avons pris conscience qu’il fallait profiter de lui, lui parler, lui témoigner notre amour, avant qu’il ne soit trop tard. Les jours qui ont suivi, nous ont permis de lui dire adieu, de nombreuses fois.
C’était à la fois court et interminable. Chaque journée qui passait nous permettait de profiter une ultime fois de sa présence. Chaque journée qui passait nous faisait souffrir d’avantage. Nous avions peur de la façon dont sa vie s’arrêterait. Peur de le voir souffrir. Peur de ne pas être là. Nous étions dans l’attente. Nous étions dans l’impossibilité de nous réjouir pleinement de ton arrivée. Et nous étions séparés d’Appoline.
Nous refusions les visites, autres que les parents réciproques. Ta marraine est néanmoins venue pour t’admirer. Nous voulions être seuls. Certainement pour profiter d’avantage de vous, mais surtout pour ne pas porter sur nos épaules la souffrance des autres. Leur regard sur notre situation et sur Valentin était difficile. Nous ne voulions pas que l’on nous plaigne.
De plus, les pédiatres nous avaient expliqué que le décès de Valentin pouvait survenir à n’importe quel moment. Nous voulions être présents, et nous ne voulions pas partager cet instant avec quelqu’un d’autre. Aussi proche soit-il. Nous avions donc peur également que notre petit chéri décide de partir alors que nous avions de la visite.
L’équipe médicale était très présente. Et cela nous rassurait. Elle ne faisait pas de différence entre vous deux. C’était très important pour nous. Traiter Valentin comme un moribond ou comme un condamné nous aurait été insupportable. Il fallait tout lui donner, et surtout ne pas le rejeter.
Tu étais très éveillée. Avec tes yeux pleins de malices, tu t’émerveillais de tout ce qui t’entourais. Tu avais toujours un point en l’air et cela nous faisait beaucoup rire. Tu étais cocoonée comme une petite princesse. C’est vrai que ta frimousse toute réjouie en charmait plus d’un. Tu percevais certainement la difficulté des événements. Lorsque Valentin n’allait pas bien, tu étais toi-même relativement agitée. On ne saura jamais si cela était du au hasard, ou si il y avait une réelle osmose entre vous. Chacun choisit sa version …
L’état de santé de Valentin empirait de jours en jours. Son teint devenait jaunâtre et sa respiration plus difficile. Le contraste entre vous deux était de plus en plus marqué. Tu t’éveillais et tu te remplissais, alors que Valentin était de plus en plus fatigué. Néanmoins, il était beau et nous avons eu des échanges jusqu’au dernier moment. Il ne souffrait pas. C’était primordial. Nous étions fiers de son courage et de sa rage de vivre. C’était un Knockaert, à n’en pas douer.
Appoline vivait les événements à sa façon. Avec le regard d’une enfant de trois ans. Elle percevait nettement notre détresse et notre souffrance, même si nous nous efforcions au maximum de l’épargner. Les enfants sont bien plus perspicaces que ce que l’on croit. Elle souffrait d’être séparée de nous. Presque deux semaines, c’est très long. Au-delà de la jalousie naturelle que chaque aîné montre pour le nouvel arrivé, elle ne comprenait pas que son papa soit obligé de rester tout le temps à la maternité. Elle était très fière de vous deux. Elle jouait à la petite maman et ne voulait rater aucun change. Nous ne savons pas jusqu’à quel point elle comprenait que la présence de Valentin était éphémère. Tout ce que nous retenons, c’est que le vendredi soir au moment de partir, elle a spontanément embrassé son petit frère avec tendresse en lui disant « Je t’aime ». Ce sont les derniers mots qu’elle lui ait dis…
Nous pensions que Valentin ne vivrait que 48 heures maximum. Il nous a accompagné pendant une semaine. Avec du recul, nous pensons que ce délai fut une vraie bénédiction. Nous avons eu le temps de lui dire adieu avec beaucoup de sérénité. Sans précipitations et sans regrets. Nous avons eu le temps de lui exprimer la joie de sa naissance et de le remercier pour tout ce qu’il avait pu nous donner. Nous lui avons expliqué sa place dans notre famille, indélébile.
Ton frère est décédé le dimanche 08 janvier, à 15 heures, soit une semaine après votre naissance. Il est parti comme il est venu. Sans attendre. Il nous a quitté sur 5 minutes de temps, sans souffrir et sans prendre un quelconque analgésiant. Nous étions là, près de lui. Toi aussi. Tu dormais en paix dans ton berceau. Tu n’étais pas agité, comme si tu sentais qu’il était en paix lui-aussi. Ces instants de réelles douleurs, nous les avons vécu en douceur. L’équipe médicale était là bien sûr, mais ce moment nous appartenait, à tout les quatre. C’était l’aboutissement d’une vie. Une courte vie, mais une belle vie.
Nous sommes restés ensemble jusqu’à son dernier souffle. Vous n’avez pas quitté la chambre de ce hall maternité. L’équipe médicale, contre tous les principes d’alors, a respecté notre volonté. Nous ne voulions pas que Valentin soit en pédiatrie, trois étages en dessous, alors que toi tu restais en maternité. Nous aurions été déchirés entre nos deux enfants. Nous aurions raté des instants précieux. Et puis, c’était une façon aussi de respecter notre volonté d’accompagnement. Valentin n’avait pas besoin de soins, il avait besoin de nous.
Dans les jours qui ont suivis, nous avons préparé ses obsèques. De nouveau, nous voulions être seuls, une dernière fois, avec lui. Nous les souhaitions très simples. Nous n’avions plus de souhaits. Nous lui avions déjà tout dit de son vivant.
Sans aucune honte, nous pouvons dire que nous étions en partie heureux. C’est encore une fois un terrible paradoxe. Nous venions de perdre un enfant et une partie de nous était dans la joie. En fait, nous étions soulagés. Soulager de ne pas l’avoir vu souffrir et d’avoir été présents dans ces derniers instants. Nous n’étions plus être dans cette attente douloureuse. Nous pouvions enfin nous réjouir pleinement de ta présence.
Nous avions l’impression d’être en total décalage avec notre entourage. Contrairement à eux, nous nous étions préparé à ce deuil. Ils commençaient le cheminement, alors que nous avions déjà trois mois de pré deuil derrière nous. Depuis l’annonce de son décès inéluctable, nous avions entamé une réflexion et une reconstruction. Nous avions de l’avance, et seule l’équipe médicale qui nous suivait pouvait le comprendre. Les gens nous consolaient, alors que nous n’avions qu’une envie : passer à autre chose, profiter de notre petite Noémie et de notre adorable Appoline, profiter de la vie.
Nous sommes sortis de la maternité le 11 janvier. Nous étions heureux de te ramener à la maison et de nous retrouver en famille avec Appoline. Nous avons accompagné une dernière fois Valentin le lendemain, lors de ses obsèques.
Nous étions alors sereins. D’abord parce que nous avions le réconfort de penser que nous avions fais les bons choix. Aussi parce que nous n’avions pas de regrets ou de doutes sur la vie de Valentin. Nous étions en permanence avec lui et nous savons qu’à aucuns moments il n’a manqué de quoique ce soit. Il n’a jamais été seul, jusqu’au bout. Nous l’avons vu partir sans souffrir, en toute plénitude d’une petite vie bien chaleureuse. Nous n’avons pas à fabuler sur son décès ou sur ce qu’il a pu vivre. Nous avons la sérénité de savoir qu’il a été heureux. Et cela n’a pas de prix.
Depuis, la vie reprend ses droits. Nous vous regardons grandir, Appoline et toi, en sachant plus que quiconque la chance que nous avons. Il y a encore, et il y aura toujours, des moments difficiles. De ces moments où la douleur se transforme en souffrance, où Valentin nous manque, où son souvenir ne suffit plus. L’incompréhension et l’injustice reviennent inévitablement dans ces cas là. A chaque fois, l’une d’entre vous nous décroche un sourire ravageur, et l’espoir et l’amour l’emportent.
Certains te diront que « c’est mieux ainsi » et que Valentin de toute façon n’aurait pas eu une vie normale. Bien sûr ils ont raison, en partie seulement. Perdre un enfant n’est jamais ce qui peut arriver « de mieux ». On peut toujours souhaiter que cela se déroule autrement.
D’autres te compareront à une miraculée, comme si tu avais la chance de vivre contrairement à ton frère. Saches que tu n’es en rien dans la mort de Valentin. Ce n’est pas parce que tu es en vie que lui est mort. Ce n’était pas « l’un OU l’autre » mais « l’un ET l’autre ». Valentin n’a pas eu la chance qu’ont la grande majorité des enfants. C’est lui qui est en cela une exception, et non pas toi et ta vitalité. Tu n’as pas de compte à rendre à la vie. Tu ne lui dois rien, alors qu’elle te promet tout.
De même, beaucoup pensent que nous avons de la chance finalement, puisque nous en avons « quand même un sur les deux ». Comme si tu étais « le lot de consolation » de cette grossesse particulière. Nous t’accueillons comme notre petite Noémie. Tu es unique et si précieuse pour nous. Tout autant que ta sœur, et qu’éventuellement les autres frères et sœurs qui viendront. Nous t’aimons pour ce que tu es, ni plus, ni moins que si tu avais été seule. N’oublies jamais cela et n’en doutes pas.
Nous sommes heureux d’avoir connu Valentin. Nous lui avons donné tout l’amour que nous étions capable de lui donner. L’amour d’une vie. Peut-être plus que ce que nous aurions été capable de lui donner en 50 ans. Il nous fait ainsi réfléchir sur la qualité d’une existence. Elle ne se mesure pas sur sa longévité, mais bel et bien sur ce que l’on a pu en faire. Sur l’amour que l’on a donné et sur l’amour que l’on a reçu.
Connaître l’âme sœur, se faire des amis, avoir des enfants sont des instants privilégiés. On prend des risques à aimer. Le risque d’être trahi ou de perdre ceux que l’on aime. Néanmoins, une vie n’est rien sans amour et chaque instant ensemble nous rappelle un peu plus que cela vaut le coup d’essayer.
Valentin est une chance. Il nous rappelle comme la vie est fugace, et au combien il faut savoir en profiter. Ne pas gaspiller notre énergie et nos larmes pour des petites misères quotidiennes. Savoir relativiser un bouton sur le nez ou une fin de mois difficile. L’essentiel n’est pas là. L’amour et la santé ne s’achètent pas. C’est la seule richesse qui compte. Les coups durs de la vie sont inutiles, si on s’efforce à les oublier. Ils doivent servir à apprécier de façon plus intense les moments magiques de l’existence.
Nous choquons parfois par la facilité avec laquelle nous parlons de notre petit garçon. Se taire ou simuler, laisser des non-dis, faire « comme si de rien n’était » est certainement la pire attitude à avoir. Tenter de l’oublier, revient à perdre Valentin une deuxième fois. Ne pas en parler, le condamne, à tort. Nous apprenons à vivre avec son souvenir, c’est la seule issue possible.
Nous sortons plus fort de cette déchirure. Saches que l’homme possède des capacités et des ressources insoupçonnées. Face au pire, nous savons aller au-delà de nous-mêmes. Même si nous serons prés de toi à chaque pas que tu feras et dés que tu le souhaiteras, tu dois savoir que tu es bien plus forte que tu ne l’imagines. Ais confiance en tes possibilités, et crois nous sur parole, tu sauras déplacer des montagnes au moment voulu.
Cette aventure est une véritable page de vie. Sans brouillon et sans ratures. Ce n’est qu’une page, d’un livre complet. Ta sœur et toi allez en remplir les futurs chapitres. Nous tournons cette page tant bien que mal, mais il y restera un marque-page tout en couleur, comme un sillon de notre mémoire dans lequel se cache un sourire de Valentin.
Nous avons beaucoup de chance, nous avons un petit ange qui veille sur nous. Il nous murmure en douceur : « Vis, ris, sois heureux et rends les gens heureux, cela vaut vraiment le coup. Sois toi, le mieux que tu pourras »…c’est en cela que Valentin est toujours vivant…
La vie est belle, ne l’oublies pas…
Ton papa et ta maman, Flines-les-râches, le 18 avril 2006.