Mathéo

Le cri du Silence

Un an, et je fais un retour en arrière, ou plutôt je me rends compte que je fais un retour à l’arrêt! La vie a continué, des projets se sont installés, un déménagement dans cette nouvelle région, un nouveau travail, une nouvelle vie vue de l’extérieur. Nous avançons… mais de l’intérieur tout est arrêté, bloqué, une confusion entre le passé et le présent, sans la possibilité de voir l’avenir, car un besoin de contrôle est toujours bien présent. Le contrôle de pouvoir changer les choses, le pouvoir de revenir en arrière pour tenter de rattraper ce qui m’a échappé et qui engendre des regrets tellement pesants et irrattrapables…

Le 22 février, échographie morphologique. Dans la joie de voir notre petit bout, et de découvrir si c’est un garçon ou une petite fille. Nous avions oublié qu’outre cet examen de bonheur, voir notre enfant et s’émerveiller, ce n’est rien d’autre qu’un examen de santé, un contrôle morphologique comme son nom le dit.

Il n’a fallu que trois secondes pour que la réalité nous tombe dessus, telle une enclume si lourde, qu’elle nous entraîne dans une chute vertigineuse sans fond, où même le sol ne peut nous retenir.

Une chute continuelle dans un espace temps arrêté. Un grand bonheur transformé en grand malheur en quelques secondes

Notre enfant, notre bébé tant désiré est très malade. Dans la gêne et la retenue de l’échographiste, nous ressentions qu’il ne voulait pas tout nous dire. Nous repartions donc errants chez nous, avec ce choc, dans l’incompréhension et l’irréalité la plus totale. Tout en espérant une erreur de jugement. Malheureusement, après ce weekend si long, avec toutes ces interrogations dans une solitude sans nom, et deux autres échographies plus tard, le verdict tombe. Toi, notre amour, notre petit Mathéo tu n’es pas viable… Comment est-ce possible? Pourquoi autant de malformations. Qu’a t’on fait de mal ? Tu bouges, as tu mal ?? Souffres-tu??

Entendre toutes ces “anomalies” que je déteste ce mot! Nous expliquer une par une toutes les conséquences pour ton futur qui n’en est pas un, et les opérations insoutenables à l’oreille telle une réparation de machine. Quelle terreur, surtout pour finir par “il ne peut pas vivre”. Les images de ces opérations qui ne peuvent avoir lieu dans tous les cas, me restent devant les yeux.

S’ensuit une longue traversée du désert. SEULS… Aucune aide… Une décision à prendre…

Attendre que toi, notre petit Mathéo, notre amour, tu t’éteignes, mais quand? On ne le sait pas, quelques semaines ? à la naissance ? Souffres-tu de tout ce que tu as? Ce n’est pas possible, je me vois comme une tortionnaire. T’aider à partir? Je me vois comme une criminelle! Que faire… 6 jours se sont écoulés, je ne dors plus, envahie par les angoisses, tu continues de bouger, que veux tu me dire??

On a si mal, nous sommes perdus, nous appelons au secours une nouvelle fois auprès de différents milieux hospitaliers, personne ne nous aide, ce sont les vacances de Pâques… Un médecin me dit au téléphone “Mais madame les psychologues sont en vacances et puis de toute façon, demain votre problème sera le même…” Oui, mais cela n’empêche pas que j’ai besoin d’aide psychologique. J’espère tant un miracle. Moi qui pensais que les mauvaises choses, n’arrivaient qu’aux autres! Et bien NON! Moi qui ne peux même pas tuer une araignée, alors que c’est ma phobie, car c’est une vie. Là on me demande de faire ce que je ne peux me résilier à faire aux insectes. Mais, dans quel cauchemar suis-je ? Je veux me réveiller, il reste à peine 4mois, pour être comme nous l’avions rêvé. Heureux! En famille! La poussette est prête. Où sont passées ces rêves de te voir dedans quand nous l’avions achetée ?

Grâce à un médecin dans notre famille, nous avons appris qu’il existe un hôpital de psychiatrie ouvert 7 jours sur 7, 24h/24. J’ai tant demandé d’aide et je l’apprends 6 jours après. Ils nous ont aidés à comprendre nos ressentis, et surtout à faire un choix. J’ai pu aussi grâce à eux, t’expliquer, te parler, la barrière de protection que je m’étais mise s’est enlevée, et ce n’est qu’à partir de ce jour que j’ai réalisé que tu étais toujours mon bébé, aimé 1 semaine auparavant, avant cette échographie morphologique, tu n’es pas un cas d’étude intéressant comme on n’a pu nous dire.

Nous avons passé ces derniers jours dans un peu plus d’accalmie, en te disant tout l’amour que nous avions pour toi et t’expliquer la situation. Nous savons à présent que c’était nos derniers moments à tes côtés, nous t’avons accompagné, le temps nous était compté.

La prise du premier cachet a été terrible, et encore plus quand l’infirmière sensée nous le donner, ne trouvait pas notre dossier et nous a demandé quel planning familial nous envoyait. Une colère sombre s’est abattue sur moi! Mais NON, nous on ne veut pas! S’il existait un miracle pour le soigner, ce serait déjà fait!

Puis les rendez-vous se sont enchaînés : les pompes funèbres, la préparation des funérailles. Quand? Où? Comment?! Faire tous ces choix pour notre bébé avant sa mort. Te sentir bouger, vivre, et préparer ton départ…quel antagonisme… J’ai peur, mais il le faut, on t’aime, et nous ne souhaitons pas que tu souffres d’avantage.

Je suis donc rentrée à la maternité, tel un robot, je ne maîtrise plus…

Pourquoi?! Pourquoi toi?! Pourquoi nous?!

L’accouchement fut très long, 35h à nous demander si tu es déjà parti… Nous ne le saurons jamais, mais nous espérons que tu n’as pas trop souffert. Nous sommes le 6 mars 2013 et il est maintenant 17h38, tu es né dans un silence si pesant à 24 SA. Que c’est dur! Nous voulons te voir, mais nous avons peur. La sage femme si gentille nous a rassurée, ” tu es très beau” dit-elle. Tu es là, dans une pièce juste à coté de nous, mon ventre est vide, mes bras t’attendent. Une autre personne entre dans la pièce, “Je vous déconseille de le voir, vous allez être choqués!” Qui croire ? Les deux personnes ont un jugement opposé. Avec la fatigue physique et psychique, les révisions utérines, je n’arrive plus à raisonner….La peur prend le dessus, les termes médicaux utilisés lors des échographies me reviennent, ses malformations me terrifient. STOP! C’est dit, je ne peux pas le voir. Quel regret maintenant… Le temps a fait son œuvre, l’imagination me harcelait. J’ai voulu par deux fois voir sa photo, car dans ma tête c’est l’horreur qui m’envahissait. La première fois, le médecin nous a dit “Je ne vous le conseille pas il a les traits lisses et puis vous savez je n’ai pas vu ma grand mère morte et je ne m’en porte pas plus mal!”. La seconde fois une sage femme nous a vivement conseillé de le voir pour stopper cet imaginaire destructeur 2 mois après. Quel soulagement à la vue des photos! Qu’il est beau, il est grand! Ils l’ont bien habillé! Une grande émotion nous envahit, nous découvrons enfin notre enfant! Mais une colère s’empare de nous, celle contre les personnes qui nous ont déconseillé de le voir! un retour en arrière qui ne peut être possible et qui est très culpabilisant de ne pas avoir été plus fort dans nos choix. Un regret qui ronge et qui ne peut être rattrapé.

Encore aujourd’hui, j’ai du mal à dormir. Durant la nuit qui suivit mon accouchement, les cris des bébés retentissaient dans toutes les chambres. Mais dans la notre le silence. J’avais prévenu que je ne voulais pas entendre de cris de bébé, alors que le mien était parti! La nuit fut horrible, la chambre vide, ce silence, notre fils au sous sol, et ces bébés qui ne s’arrêtent plus! Un médecin du service de nuit nous a dit, qu’il était important d’entendre les pleurs des bébés pour bien comprendre que le notre était mort! Cette nuit nous a plus traumatisés, plutôt qu’aider pour notre futur. Pour me calmer, elle me fit une piqure de tranquillisant pour me forcer à dormir! Depuis, j’ai de très grandes difficultés à m’endormir, le premier endormissement est très difficile. Les angoisses arrivent et le cri du silence dans cette maison vide me transperce!

Cette année a été une longue traversée du désert. Les étapes ont été bien difficiles. Voir la vie continuer autour de nous, alors que nous sommes arrêtés. Beaucoup de petits deuils… La poussette qui reste pliée, le berceau vide, tout ce qui était prévu arrêté net. Le deuil d’un enfant, de Mathéo, je pense qu’il n’est pas possible. Nous apprenons juste à vivre avec, ou plus sans… Sans lui près de nous, mais bien présent dans nos cœurs. Tu nous manques terriblement Mathéo! On t’aime!

Depuis peu nous avons appris que son petit frère ou sa petite sœur s’est installé! La peur est là! Surtout qu’au moment des résultats génétiques 5 mois après son envol, le médecin nous avait dit que ça ne venait pas de nous, et là 11 mois après, dans une nouvelle maternité, dans une nouvelle région, nous apprenons que l’un de nous est porteur d’un gène qui peut occasionner des troubles du comportement, de l’hyperactivité, pouvant aller jusqu’à l’autisme. On veut croire au bonheur, tout le monde y à droit, alors pourquoi pas nous? Toujours cet éternel POURQUOI?

Beaucoup de difficultés sont encore bien présentes! Nous avançons le cœur lourd, essayant d’y croire encore. Un grand traumatisme qui nous a permis de nous rendre compte que des gens biens existent encore. Merci aux associations, aux groupes de paroles, aux psychologues. Merci à la sage femme très douce lors de la naissance de Mathéo, Merci aux pompes funèbres et au service funéraire de la maternité qui nous ont aidés à accompagner dignement notre fils pour son dernier voyage. Merci à nos proches d’avoir été là, et d’être toujours présents pour nous. Sans toute votre aide nous n’en serions pas là. Merci de continuer à le faire vivre

Mathéo, ton départ est un déchirement, mais nous tentons tout pour que tu sois fier de tes parents qui t’aiment! Tu nous a appris beaucoup de choses sur la vie, et sur nous, nous ne sommes plus les mêmes. Tu nous as montré la valeur de celle-ci, de vivre au jour le jour car tout peut basculer à tout moment, et de profiter de l’essentiel. Merci à toi d’être entré dans nos vies.

Nous t’aimons!! Ton Papa et Ta maman

Allan et Léna