Marcel, 1 an déjà, que tu n’auras jamais

Aujourd’hui c’est un jour particulier, puisque tu ne souffleras pas ta 1ère bougie.

Cette année fut particulière, notre vie a changé depuis que nous t’avons connu.

Cette année est passée si vite et en même temps me paraît si longue, avec tant d’étapes, de moments intenses en douleur.

La 1ère étape difficile à été cet état de choc, de sidération après l’annonce de ton décès. Je me souviens très bien de tout, chaque détail à la maternité, comme si je regardais un film, je l’ai regardé 1 million de fois et toujours la même sensation de film ! Je me sentais dans un film, la réalité n’était pas acceptable, impossible d’imaginer que c’était bel et bien ma réalité.

J’ai sûrement dû en choquer à la maternité, à réussir à rire et à ne presque pas pleurer. Mais à ce moment là, les 10 premiers jours, je ne réalisais pas, je ne voulais pas réaliser, j’allais me réveiller.

Avec le temps j’ai compris que ma réaction était normale et humaine, la réalité était trop dure et trop brutale pour être intégré.

En même temps quoi de plus dur et de plus brutal que de faire réaliser à une maman qui porte et aime son enfant depuis 7 mois , une maman qui doit donner la vie , une maman qui a déjà construit son avenir avec son petit . Jusque-là, personne ne m’avait dit qu’être mère ca pouvait aussi être de devoir donner la mort, d’accepter de laisser partir son bébé sans même pouvoir entendre sa voix ni voir ses yeux ouverts, que sa chambre resterait toujours vide, que le Noël suivant, que j’avais imaginé en famille, se ferait sans lui, et que tous ses anniversaires j’irai le voir au cimetière.

Ensuite est venu le moment du pourquoi ? Et surtout de la culpabilité, je pense l’étape la plus difficile à gérer. Des questions à longueur de journées, de nuits, ces questions deviennent obsessionnelles. D’abord pourquoi nous ? Nous ne méritons pas ça ! Nous aurions été de bon parents … Ensuite il fallait que je comprenne ce qu’il s’était passé, j’ai donc passé des heures, des journées à faire des recherches sur le HRP, les causes… Il fallait que je comprenne. Cette sensation de ne pas avoir maitrisé m’obsédait. Puis la culpabilité, elle, c’est pas ma copine du tout, elle fait très mal, elle ronge, elle obsède, elle est irraisonnée et pourtant même chez quelqu’un de raisonné elle persiste. Pendant de long mois et surtout la nuit, elle est venue m’obséder. A en éplucher tout les recoins de ma grossesse, ce que j’ai fait, mangé et même pensé. Dès que j’y trouvais une petite chose, c’était ça, c’était moi. Je me refaisais aussi le film de cette dernière journée, cette nuit, et si, et si, et si !!! Et si j’étais venue plus vite à la maternité … Sortir de cette culpabilité a été très difficile et je ne crie pas victoire puisqu’elle est coriace et aime frapper à la porte sans prévenir. Mais globalement je me sens plus sereine grâce notamment à ma gyneco qui a pris le temps de m’expliquer les choses, de me rassurer sans juste me dire « mais non, ce n’est pas votre faute», mais en m’expliquant clairement. Mais aussi grâce aux groupes de parole où j’ai pu comprendre que cette culpabilité était normale.

Une fois que ma culpabilité m’a laissée un peu, est venu une chose qui m’a étonnée de moi : la colère. J’étais certaine de ne pas passer par là, étant plutôt calme et n’en voulant à personne, à part à moi. Et si, elle est venue, mais heureusement pas envers mes proches parce que, contrairement à d’autres parents endeuillés, nous avons eu et avons toujours beaucoup de chance d’être très bien entourés. La plupart de nos proches, famille et amis, ont été très présents et le sont toujours aujourd’hui. Donc cette colère m’est venue de notre chère administration française. J’avais pourtant dès ma sortie de la maternité fait tout l’administratif qu’on nous demande de faire ! Et pourtant plus de trois mois après la perte de Marcel, j’en étais à mon 3ème courrier de la CAF, « guide de parentalité » , « bienvenue à votre enfant » ….. Je me suis rendue à la CAF et leur ai demandé s’ils voulaient me tuer. On m’a répondu désolé, c’était pas enregistré dans leur ordinateur ! Comment ne pas être en colère, c’est juste inhumain et tout le système français est comme ca. J’attendais avec impatience mon livret de famille car grâce à lui la France reconnaissait l’existence de Marcel. Mais quelle claque en l’ouvrant, la partie naissance barrée, juste la partie décès remplie et pas son nom de famille ! Quelle horreur ! La France reconnaît que Marcel est mort mais pas qu’il est né ! Elle le reconnaît mais pas au point qu’il ait un nom de famille !

Alors tout ca, plus les remarques idiotes de certains, la rage est montée.

Aujourd’hui ma colère est retombée, je suis plus sereine mais je sais que je peux vite partir. Le système français me dérange, il reflète bien le manque de connaissance de beaucoup, la déshumanisation de l’administration, le tabou autour du deuil périnatal, tout parent endeuillé le dira. Nous sentons que nous ne rentrons dans aucune case et avons du mal à faire reconnaître l’existence de nos enfants. Mais je me calme en pensant que nous avons la chance d’être bien entourés, la plupart de nos amis, de notre famille, ont reconnu Marcel et ne l’oublient pas, finalement c’est le plus important. Aujourd’hui pour les 1an de Marcel j’ai reçu beaucoup de messages, d’appels et même de fleurs ! Quel plaisir. En ce qui concerne les personnes maladroites, en général ça ne vient pas de proches mais de personnes extérieures, des clients…

Puisque je suis souvent à devoir parler de Marcel, lorsqu’on me demande si j’ai des enfants, j’explique simplement que oui mais qu’il est décédé. Les gens ont parfois des réponses étonnantes. Dernièrement j’ai eu « c’est que c’était pas le moment », « c’est de votre faute ? », « dites-vous que vu le monde dans lequel on vit c’est peut-être mieux pour lui », ou le grand classique « vous en aurait d’autres ». Au début ça m’énervait, maintenant j’en rigole et puis je me dis que ce n’est pas méchant, ils ne savent pas quoi dire !

En reprenant le boulot j’avais peur de m’énerver face aux remarques débiles de mes clients, finalement je les gère bien, je zappe et retiens plutôt les remarques intelligentes et les regards pleins de peine et de compassion de certains. Maintenant je me dis que j’ai déjà fait pas mal de chemin, d’autres étapes m’attendent encore, car un deuil n’est jamais terminé mais elles ne me font pas peur, je suis forte pour les affronter.

Quand je pense à l’état dans lequel j’étais juste après avoir perdu Marcel, j’étais dans le trou noir, persuadée que je ne pourrais jamais remonter. Je pensais que je ne m’en sortirais jamais. Je pense que l’état dans lequel j’étais est le pire état dans lequel on peut être, j’ai touché le fond, connu la pire des douleurs… Alors je suis increvable, non ?

La douleur est toujours là, mon deuil n’est pas fini et ne le sera jamais mais je l’apprivoise ? On vit ensemble, alors il y a des jours où c’est trop dur mais moins souvent petit à petit.

Maintenant je m’autorise aussi à aller bien, à rire, à penser à l’avenir !

Je pense même à la suite parce que, au contraire de ce que j’ai pu penser, ma vie ne s’est pas arrêtée avec Marcel. Elle a changé, nous avons changé pour toujours mais nous avons encore des choses à vivre, comme se marier, puis aussi penser à avoir d’autres enfants. Parce que oui, nous en aurons d’autres, qui ne remplaceront pas Marcel et n’enlèveront pas notre douleur, mais nous montrerons aussi les bonnes choses de la vie et que la vie continue même si elle est différente. Marcel nous accompagne chaque jour, autrement, mais il est là et le sera toujours…

Mathilde