Luka

Luka,

pas une seule minute ne passe sans que mon cœur ne soit avec toi, tu me manques cruellement, tu n’es pas là avec nous, ton père, ta sœur et moi aujourd’hui et le goût de la vie est différent et le sera à tout jamais.

On nous annonce assez rapidement en janvier dernier une grossesse à risques avec une poche des eaux qui a tendance à descendre vers le col, la seule précaution à prendre c’est de se coucher, de se gaver de médocs contre les contractions, de ne pas faire de bêtises ! Trois semaines plus tard, les choses semblent s’améliorer, on est tellement heureux, on vient de passer les trois mois et donc aussi le stade de mes deux fausses couches précoces précédentes !

On ose donc y croire, on commence à se projeter avec toi mon cœur, je suis certaine que tu es un garçon, mon Luka, mais c’est à peine si l’obstétricien te regarde pendant les visites ! On vit de beaux instants pendant quelques semaines, puis visite du 4ème mois et là, rien ne va plus, repos strict oblige, la poche continue à descendre, on ne nous explique pas grand chose, on nous laisse de l’espoir en nous disant que c’est très risqué, qu’on peut perdre le bébé mais que certaines femmes ont réussi à s’approcher du terme, on nous parle de très grands prématurés, de 24 SA, de 28 SA. Nous nous renseignons beaucoup sur les risques, les séquelles, demandons à rencontrer un néonatalogiste que nous n’aurons pas le temps de rencontrer !

Bref, nous rentrons chez nous désemparés à 17 SA et 5 et je reste couchée, je te sens maintenant bouger en moi Luka, tu es bien là et tu vas bien, ton père et moi faisons tout ce qui est dans nos moyens afin de t’emmener le plus loin possible tout en gardant à l’esprit le grand risque de prématurité et tout en faisant le choix aussi de ne pas te réanimer au dessous de 28 SA, le lourd handicap ou les séquelles irréversibles ne sont pas ce que l’on a choisi pour toi, mon amour…

Notre rendez vous suivant n’aura jamais lieu , 2 jours avant cette date (fin de la 22ème semaine), je perds du sang et nous allons aux urgences obstétricales. Là, le diagnostic nous est partiellement caché par notre obstétricien qui nous dit juste que le col est un peu ouvert et que la poche des eaux descend à l’intérieur, mais selon lui toujours, pourquoi pas avec un repos strict et hospitalisée !

Moi, mon cœur, c’est à ce moment que je perds complètement espoir, il aurait fallu que toi et moi, enfin, que ce fichu corps tienne au minimum 6 semaines afin que tu puisses peut être t’en sortir ! Ton papa, lui, avait beaucoup plus d’espoir, il se passe trois jours encore avec toi en mon sein, tu bouges beaucoup, peut-être te préparais tu déjà puisque tu avais la tête en bas ! Je m’entends dire à ton père en pleurant que je voulais que tout cela s’arrête, c’était trop de stress et d’angoisse, on était d’accord sur ce fait… pas facile de penser cela alors que tu vis et que tu te portes bien mon amour chéri.

Lundi 05 mai fut le seul jour où j’ai pu te rencontrer mais en même temps le jour le plus horrible de nos vies !

Luka, mon cœur, le matin de ce jour, tu étais remonté dans mon ventre, comme si tu refusais ce qui devait et allait arriver, la matinée est calme mais dès midi, mon ventre se tend de plus en plus, j’appelle une sage femme qui finit par m’examiner et m’annoncer maladroitement que mon col est ouvert à 6 cm, je ne peux plus rien faire, je sais à cet instant que la situation m’échappe, que tu vas naître mon cœur et puis surtout que tu vas mourir tout de suite après ! Je suis anéantie, la dernière force qu’il me reste est pour toi , te parler, m’excuser, te sentir bouger encore et “profiter” des derniers moments avec toi, puis aussi d’appeler ton papa pour qu’on soit tous les trois dans cet unique moment difficile mais aussi unique dans notre moment familial à 3.

15H30 : nous sommes tous les 3 en salle d’accouchement, on attend que la poche des eaux dans laquelle tu es si bien se rompe définitivement. Les heures passent, on parle, ton père et moi, de ce que nous ferons ensuite, de ce que nous voulons pour toi, ne pas t’oublier, te chercher un prénom dans ce moment de douleur fut compliqué, parler avec le pédiatre de notre envie de te rencontrer, des craintes de ton papa, de notre inquiétude, de notre méconnaissance de ce que peut être un tout petit bébé de 22 SA, mais je savais déjà que je voulais te tenir dans mes bras, te voir, t’embrasser et te dire au revoir mon coeur.

18 H00  Mon obstétricien arrive, me dit maladroitement, je sais que vous en aurez un, je vous pose un cerclage avant la conception et je vous assure qu’on aura un bébé à 8 mois !! Quelle cruauté d’entendre un truc aussi difficile alors que toi, Luka, tu t’apprêtes à arriver parmi nous pour mourir ensuite, que nous le savons, qu’il le sait !!

Il demande aussi à ton père de sortir, c’est soi-disant mieux pour lui, on ne lui demande pas de choisir. Fred aborde un point administratif qui aura toute son importance par la suite, il demande un acte de naissance d’un enfant né viable afin de pouvoir obtenir acte de naissance, faire reconnaissance en paternité etc, on lui répond de façon assez claire “on sait ce qu’on a à faire”.

Le pédiatre nous prépare vraiment, nous dit comment tu seras, nous propose deux solutions, te voir naître et mourir en même temps ou alors me faire une micro anesthésie à la dernière expulsion et préparer le bébé et nous l’emmener mort ! Nous avons après beaucoup d’hésitations de ma part choisi la seconde solution, j’avais peur de croiser un regard de toi mon amour, d’entendre un pseudo cri et surtout de t’avoir sur moi et de de voir me séparer de toi en vie, ça me paraissait comme un ajout supplémentaire à notre souffrance, je ne regrette d’ailleurs pas, ton papa non plus.

18h23 : c’est l’heure de ta naissance mon cœur

18h24 : c’est l’heure de ta mort, mon cœur, le pédiatre t’emmène vers moi emmailloté à 18h30, tu es magnifique, je suis surprise à quel point tu es beau, tu pèses 590 g, tu es bien “fini” extérieurement parlant, je demande au pédiatre de dire à ton papa que tu es très beau et que si tu veux, tu peux sans vouloir choisir pour ton père, mais je ne voulais pas qu’il ait de regrets

Ton papa arrive et nous passons je ne sais pas combien de temps ( 30 minutes) avec toi, nous sommes tous les trois, te regardons, pleurons, je te regarde sous toutes les coutures, te caresse, t’embrasse, je veux que ce seul moment de notre famille soit fort, beau, car CE SERA LE SEUL, mon amour, en tous les cas, le seul qui semblera paisible !

Ensuite, vient l’heure de la séparation, je crois que j’aurais pu rester des heures avec toi contre moi, même si tu avais déjà perdu ta chaleur , j’ai donc dit oui car je pensais ne plus pouvoir ensuite me séparer de toi, ceci dit, j’aurais dû rester un peu plus avec toi car je n’ai plus pu te revoir ensuite !

Luka, mon amour, mes pensées sont avec toi, toi et moi sommes indissociables, tu fais partie de moi, tu as une grande place dans mon cœur, donne-moi la force de pardonner mon corps, donne moi la force de continuer sur le chemin de la vie sans toi, donne-moi la force d’être à nouveau optimiste sans t’oublier, sans oublier les deux bébés précédents qui n’ont pas eu le temps de se développer autant que toi mais qui eux aussi ont beaucoup compté dans ma vie et dans mon cœur.

LUKA, je t’aime mon cœur

Elizabeth, mai 2008