Lettre de Jenny et Fabien, parents de Luca, Enzo et Tom

Nous formions une famille et Luca grandissait auprès de nous lorsque nous avons décidé d’avoir un deuxième enfant. Aussitôt dit, aussitôt fait, et deux mois après l’arrêt de la pilule, je tombe enceinte.Nous étions comblés.Un premier rendez vous fut pris avec le gynécologue qui me fit une petite échographie rapide et nous dit que tout se passait normalement.Il nous donna donc un second rendez vous à 12 semaines pour mesurer la clarté nucale et là quelle surprise ! Il nous annonce que nous attendons… des jumeaux ! Je crois qu’il fut aussi surpris que nous car il oublia de mesurer la clarté nucale des bébés.Tout semblait aller bien et nous étions comblés.Nous annoncions donc sans plus attendre la GRANDE nouvelle à la famille.Ces enfants étaient pour nous un cadeau du ciel,on se disait qu’on avait de la chance, qu’on allait voir grandir auprès de nous deux petits garçons qui partageraient une relation très particulière. Bref, c’étaient le BONHEUR.Comme tout paraissait aller bien, le suivi ne fut pas plus complet. Ce qui posa problème un peu plus tard, car l’écho-morpho des 12 semaines d’aménorrhée n’avait pas été prescrite et lorsque ma généraliste s’en aperçut ,j’étais déjà à 15 semaines d’aménorrhée et le diagnostic de chorionicité fut plus difficile. Je passais donc cette fameuse écho et on nous annonça qu’il s’agissait de vrais jumeaux avec une seule poche ce qui est extrêmement rare. Il y avait peu de différence de mesures entre les deux bébés, donc tout allait bien. Je retourne donc voir mon gynécologue avec cette écho et il me prescrit celle de 22 semaines me disant que je pouvais continuer une vie normale, que mon col était bien fermé et que « tout allait bien ».Au moment de l’échographie de 22 semaines ,je vois un autre gynécologue de l’hôpital qui diagnostique, lui aussi, une grossesse mono-choriale, mono-amniotique. Il a paru très préoccupé. Il nous a dit que les enfants avaient des mesures similaires mais qu’il me fallait du repos et un suivi échographique plus régulier, une sage femme à domicile pour surveiller les bébés. Je repars donc avec toutes mes prescriptions dont celle de l’échographie de 26 semaines. Il me faudra 2 semaines pour obtenir une sage femme a domicile. Dès lors, je sentais très distinctement mes enfants bouger. Enzo était à droite et Tom à gauche.

Enzo avait toujours l’initiative du premier coup et Tom lui répondait irrémédiablement. C’est ce qui va me mettre la puce à l’oreille.

Le 15 juillet, je dois rentrer à l’hôpital pour mesurer la maturation pulmonaire des deux bébés et pour l’échographie, celle des 26 SA. Le samedi 12, je sens Enzo donner des coups mais son frère ne répond pas. Je suis inquiète, angoissée. Mon mari travaille de nuit, et je me dis que c’est sûrement, ENCORE une de mes angoisses inexpliquées. Je décide de le laisser se reposer. Mais à 11 heures, je suis trop inquiète, j’ai passé ma matinée à essayer de faire bouger Tom, en vain. Je réveille mon mari, il me conseille d’appeler ma généraliste pour qu’elle me fasse écouter le cœur des bébés ainsi je serais rassurée. C’est ce que je fais. Elle me donne rdv pour 12h15 puis me rappelle en me disant qu’elle a contacté son amie échographiste qui accepte de me rassurer même si elle ne suit pas les grossesses gémellaires. Nous voilà donc partis pour le centre d’échographie. Nous sommes reçus très rapidement et là l’échographiste passe et repasse sur mon ventre, silencieuse, inquiétante .Puis elle finit par nous annoncer qu’il n’y a plus d’activité cardiaque pour le jumeau de gauche. C’est pour moi un coup de poignard, une déchirure, je suis effondrée, j’ai peur, mon mari et moi pleurons et l’échographiste ,très gentille nous dit qu’il nous faut aller à la maternité le plus vite possible, ce que nous faisons.

Tout le long du trajet j’espérais qu’elle se soit trompée mais arrivée à l’hôpital, le même diagnostic tombe. Tom est décédé. On nous parle alors de lésions cérébrales pour Enzo, d’IRM. On nous dit que je peux aussi accoucher sous 48h. On m’injecte rapidement les corticoïdes. Le week-end passe et …. rien. Je n’accouche pas. Nous sommes malheureux, nous avons peur de perdre Enzo, peur aussi qu’il soit atteint par le décès de son frère. Et puis lui, il vit, mais c’est aux côtés de son frère décédé.Se trouver ainsi en même temps face à la vie et à la mort a été la chose la plus difficile que nous ayons eu à vivre. Nous nous sommes trouvés divisés entre la joie de savoir Enzo vivant et la douleur profonde face à la mort de Tom. Il nous a été difficile voir même impossible d’investir Enzo dans ces conditions, nous avons arrêté tous les préparatifs, la chambre est restée telle quelle car on nous parlait d’interruption médicale de grossesse à cause des risques cérébraux pour Enzo. Pour nous, il s’agissait d’un double deuil celui de Tom et celui de la gémellité car il nous a été très difficile de renoncer  à la relation qu’auraient du avoir nos enfants. C’était comme si on avait amputé Enzo. La vie est alors devenue un vrai chemin de combat, la peur était présente à chaque instant.

Pour ce qui est des soignants, j’avais parfois l’impression d’être face à des machines .Ils ne se rendaient pas tous compte (surtout les gynécologues) que je portais le vie et la mort. Porter un bébé décédé est terriblement difficile mais savoir qu’Enzo était en proximité immédiate avec Tom était indéfinissable et l’enjeu psychologique n’était pas perçu par tous. Il nous paraissait indispensable de voir Tom à la naissance même si 6 semaines s’étaient écoulées. Nous regrettons cependant de ne pas avoir été accompagnés dans notre démarche. En effet ,lors de l’accouchement, on nous a fortement déconseillé de voir notre enfant, ce que nous avons accepté dans un premier temps. Mais je ne pouvais pas me résoudre à le laisser partir sans lui avoir dit au revoir et combien je l’aimais. Il était mon enfant et j’avais le devoir de l’accompagner jusqu’au bout. La première image de notre enfant a été choquante, nous n’avons pas été préparés à ce que nous allions voir et notre enfant était déposé à même son nid d’ange. Il n’avait pas eu droit à une toilette et il y avait du sang partout. Personne ne nous a accompagné ou préparé pour le voir.On nous a amené jusque devant la pièce où il se trouvait et on nous a dit il est là ,entrez ! Ce qui est insoutenable pour nous, c’est de savoir qu’on n’a pas accordé au corps de notre enfant le respect qu’il méritait. On l’a sorti de moi et déposé à même le nid d’ange sans même prendre le soin d’en refermer les pressions. Pour nous, c’est comme si on avait déshumanisé notre enfant, comme s’il n’avait n’avait pas eu plus d’importance que le placenta. Et objectivement, je crois que je peux dire qu’il a eu moins d’attention car le placenta lui, a été regardé sous toutes les coutures alors que Tom a été négligé. Nous comprenons que la sage femme se soit trouvée en difficulté face au corps de notre tout-petit. Cependant, je ne peux pas excuser qu’elle n’ait pas assuré la continuité des soins. On nous avait parlé de la possibilité de récupérer des photos, car chaque enfant décédé in utero, est photographié. Pour Tom, ça n’a pas été le cas et nous n’avons donc pas de photos. Après entretien, la sage femme nous a seulement dit qu’elle ne savait pas pourquoi elle n’en avait pas fait. Je pense que dans notre histoire, malheureusement, certains soignants ont perdu de vue qu’ils étaient en présence d’un enfant et de parents dans la douleur. Pour tout le monde j’en avais un et c’était déjà bien, je pouvais m’estimer heureuse. Oui mais Tom, je l’ai senti bouger, je l’ai aimé, attendu et je l’ai aussi gardé en moi décédé et pleuré alors comment accepter l’inacceptable ?

Je ne voudrais surtout pas généraliser car nous sommes malgré tout tombés sur des personnes très humaines en néonatologie à qui nous avons raconté notre histoire et expliqué dans quelles conditions nous avons vu notre enfant. Ces personnes ont su saisir notre détresse et faire en sorte que les images choquantes ne soient pas les seules et que Tom ne parte pas dans ces conditions. Il a donc été habillé par Mme M. et C que nous remercions chaleureusement.

Il y a aussi une chose sur laquelle j’insiste vraiment c’est le fait qu’on refusait de nous montrer Tom en écho pendant la fin de la grossesse, après son décès! C’était difficile car je continuais de le porter et on faisait comme si il n’y en avait qu’un ! C’était très difficile à vivre. Voilà je ne sais pas quoi ajouter de plus ! J’ ai retranscris notre histoire telle que nous l’avons vécue, ressentie. Aujourd’hui, nous apprenons à vivre avec l’absence de Tom, les interrogations concernant Enzo et notre combat n’est pas fini. Je pense que j’ai omis de parler d’un point important. Dès l’annonce du décès de Tom, nous nous sommes renseignés pour savoir comment organiser les obsèques car l’accouchement pouvait avoir lieu à n’importe quel moment. On nous alors dit que si notre enfant pesait moins de 500g il partirait avec les déchets anatomiques ! Comment peut-on dire ça à des parents ?! Heureusement la sage femme qui me suivait à domicile nous a dit que Tom avait dépassé le terme à partir duquel nous avions le droit de demander à disposer du corps. Malgré notre histoire difficile, Tom reste très présent dans nos cœurs et nos pensées. Il est inscrit dans notre histoire familiale et nous arrivons aujourd’hui à nous dire que, ce qui s’est passé pour son petit corps, était un processus naturel, nous regrettons cependant de ne pas y avoir été préparés et surtout de ne pas avoir vu Tom dans les mêmes conditions que le jour de la mise en bière. J’aurais sûrement pu rester plus longtemps auprès de lui et la vie, aujourd’hui serait sûrement moins difficile à affronter car la culpabilité ne serait pas la même. Je ne comprends toujours pas comment j’ai pu ne pas le voir en salle d’accouchement, j’aurais du me douter de ce qui allait se passer ne serait-ce que, lorsque j’ai demandé si on lui avait donné son doudou et que je me suis aperçue qu’Enzo avait le sien et que celui de Tom se trouvait au dessus de la couveuse d’Enzo.

Aujourd’hui il nous reste les regrets et la volonté d’avancer pour faire en sorte qu’Enzo vive au mieux le départ de son frère et ce qu’il a vécu durant ces 6 semaines.

Jenny et Fabien, avril 2004