(texte lu lors de la sépulture de Loanne, le 22 janvier 2000 )
Le 6 Juillet 1999, maman a eu 30 ans… et de nombreux cadeaux. Mais, à 6h du matin, le plus beau cadeau qui lui a été donné, c’était cette petite barre rosée qui s’est dessinée sur le test de grossesse.
Un nouveau bébé allait venir agrandir et combler de joie la famille.
Pendant 4 mois et demi, les projets ont fusé pour l’installation de la maison et la nouvelle organisation qui devait se mettre en place autour de cette nouvelle vie avec Maëlle, Mélenn et le bébé.
Puis est arrivé ce 2 Novembre : l’échographie où Papa et Maman ont découvert le visage de leur bébé. Denis a dit “Ça doit être une fille, elle ressemble à ses sœurs”. D’interminables quarts d’heures ont suivi, dans le silence de l’examen et l’attention consciencieuse et grave de l’échographiste. C’était long, trop long. Papa et Maman faisaient une moue dubitative et échangeaient des regards inquiets.
A 11h moins 10, Maman ose enfin demander :
– “Vous avez vu ce que vous vouliez voir ?”
La réponse fut délicate et sérieuse :
– “Oui, mais asseyez-vous, il y a des petites choses qu’il faut vous expliquer”.
C’est là que Béatrice a compris tout le sens de l’expression “Vouloir que le monde s’arrête de tourner”.
Denis, lui, a tout de suite compris dans les regards hagards que la situation était grave. Et le diagnostic est tombé, comme un arbre qui s’arrache dans une tempête. Les mots se sont bousculés et la tête s’est mise à tourner :- “poumons, malformation, opération, organes, hernie diaphragmatique, intestins, rendez-vous, écho fœtale cardiaque, thorax, abdomen :c’est quelque chose de grave ;
– Mais ça ira mieux dans un mois, hein ? Ça va s’arranger, n’est-ce pas ?
– Non Monsieur, la malformation est là, elle va évoluer mais on ne sait pas comment.
– Mais, est-ce que notre bébé est viable ?
– Oui, Madame, c’est opérable. Vous rencontrerez le chirurgien. Il vous expliquera. En attendant, vous allez passer une échographie avec un pédo-cardiologue, une IRM d’ici 2 mois environ ; je vous reverrai tous les mois jusqu’au terme. On va vous proposer une amniocentèse pour vérifier que la malformation ne s’inscrive pas dans un syndrome.”
Le 18 Novembre, déjà 16 longues journées de questions, sans réponses, de larmes, d’inquiétudes et d’espérances, de silences prêts à exploser : en parler ou ne rien dire ? Dire, oui, mais comment ? Dire quoi ? Dire à qui ?
Et puis ce 2 Décembre, résultat de amniocentèse : le caryotype est normal. Il n’y a pas d’anomalies chromosomiques associées à la hernie de coupole. Les parents sont rassurés, soulagés. L’espoir renaît jusqu’à l’écho suivante deux jours plus tard.
Le foie aussi commence son ascension dans le thorax, le poumon gauche est encore plus comprimé, mais tout espoir est permis puisqu’il persiste quand même un bout de ce poumon. Et le poumon droit, lui continue à se développer à son rythme…
– “Et le bébé, il souffre ?
– Non, pas dans votre ventre.”
La surprise du sexe que les parents souhaitaient n’a pas résisté au médecin traitant qui a vendu la mèche à Béatrice, sans le dire à Denis. C’est ainsi que la complicité s’est accrue avec ce bébé qui est alors devenue une petite fille prénommée Loanne. Sa maman et son Papa lui racontaient son histoire, sa maladie et son traitement qui allait suivre. Ensemble, ils y ont cru, ils ont prié, ils ont espéré en l’avenir. Loanne et Béatrice écoutaient ce refrain qui allait faire le lien après la naissance durant l’hospitalisation prévue :
(musique)
Ferme les yeux mon petit cœur volant
Ferme les yeux Loanne mon enfant
Ferme les yeux mon tout joli bonheur
Ferme les yeux Loanne petit cœur
Et demain, tu ouvriras les yeux
Et demain mon plus joli ciel bleu
Et demain je te murmurerai ce tout petit couplet
Ouvre les yeux, souris à ta Maman
Ouvre les yeux Loanne mon enfant
Mais que d’endormissements difficiles, que de larmes sur l’oreiller, que de siestes impossibles, que de questions et d’incertitudes : préparer la vie tout en envisageant la mort ; penser à un faire-part de naissance et évoquer l’annonce d’un décès, imaginer l’aménagement d’une chambre puis visiter le cimetière.
Que de sourires aux yeux rougis pour consoler les colères incomprises de Mélenn et répondre aux inquiétudes de Maëlle :
” Moi je veux pas d’une Maman qui pleure tout le temps”.
Mais que de réconfort au bout du fil, ou autour de la table du salon. Une voix qui rassure, un visage qui sourit, des yeux qui comprennent, des oreilles qui écoutent. Et la vie qui reprend le dessus avec le travail, les enfants, l’école et la crèche.
En Décembre, Denis annonce à ses collègues qu’il va être Papa pour la 3ème fois. Il ne peut pas en dire plus.
L’an 2000 arrive ; cette année, tant attendue par les uns, et tant appréhendée par Denis et Béa. L’appréhension du téléphone et du Minitel qui vont sonner pour souhaiter la bonne année. Oui, l’année que tout le monde se souhaite la meilleure possible, avec beaucoup de courage.
Arrive enfin l’IRM du 4 Janvier. Et personne ne se presse de téléphoner pour en donner les résultats :
“- On préfère vous dire tout ça de vive voix, mais déjà, sachez que le poumon gauche est complètement atrophié.
– Vous n’allez pas l’opérer, c’est ça ?
– Si, si Madame, on fera tout pour sauver votre enfant. On reverra tout ça avec vous le 11 Janvier.
Espoir le matin du 11 Janvier 2000 : une nouvelle échographie annonce un état stationnaire côté foie et poumon droit.
Puis la rencontre du soir, tant attendue depuis l’annonce du diagnostic, avec le chirurgien, l’anesthésiste-réanimatrice et le gynécologue-obstétricien :
“- Après la naissance, tout peut arriver : le pire, comme le moins mauvais…”
Et toute une pluie de termes qui tombe à vive allure : opérations au pluriel, incertitudes quotidiennes, éventration éventuelle, séquelles neurologiques possibles, parcours long et difficile, investissement de chaque instant, hospitalisation pendant 3, 4, 5 peut-être 6 mois ou plus, complications orthopédiques, acharnement thérapeutique. Mais aussi peut-être avec une guérison envisageable, et un enfant “presque” ordinaire.
On peut donc continuer la grossesse et attendre l’opération. On sera là pour tout tenter pour sauver votre bébé. On est là pour ça. C’est notre métier.
On peut aussi faire naître votre bébé plus tôt et l’aider à mourir calmement. On ne peut rien décider pour vous. On pense que vous avez maintenant toutes les données pour effectuer votre choix.
– Mais si Loanne est opérée, on pourra la prendre dans nos bras et participer aux soins ?
– Non Madame, ça serait trop risqué.
Trop risqué de faire des câlins à son enfant, trop risqué de calmer ses souffrances près de son sein, trop risqué d’embrasser cette petite fille et d’essuyer ses larmes.
L’insupportable pour un Papa, une Maman et deux grandes sœurs encore si petites.