La courte vie de Gabriel …

Je vais vous raconter une histoire, mon histoire, notre histoire.

Au départ c’était un conte de fée qui hélas, a tourné au cauchemar au détour d’une journée de novembre 2006.

Mais commençons par la magie du début.

Au matin du 21 juillet 2006, la vie s’installe en moi alors que je ne le soupçonne même pas, j’en rêve mais me raisonne à la fin de chaque cycle car mes deux précédentes fausses couches ont eu raison de mes projets à longs termes.

Un test de grossesse positif quelques jours plus tard me comble de joie alors que je suis en vacances avec mon amour et mes deux enfants (10 et 12 ans, issus d’un premier mariage) c’est le bonheur ! chacun de nous étant tellement impatient. Cette fois ça allait marcher nous en étions persuadés!

Dans mon cœur à cet instant, c’est l’explosion d’un magnifique feu d’artifice, ça y est ! je suis à nouveau et déjà maman au plus profond de moi.

Chaque examen me stresse un peu plus, mais tout se déroule parfaitement.

La première échographie à 12 semaines est parfaite, mon amour et ma fille sont présents, là, juste derrière la cloison, parce que l’on a décidé en commun accord, de contrôler d’abord que tout va bien, pour surtout ne pas découvrir et faire découvrir,comme l’année précédente (un autre 21 juillet…) un bébé mort dans mon ventre depuis 5 semaines. Nous ne voulions pas réitérer un choc pareil, son souvenir étant suffisamment douloureux. Mais très vite, nous entendons les battements de cœur de mon tout petit qui résonnent dans tout l’étage, à cet instant seulement j’ose poser mon regard sur l’écran qui me fait face, les larmes coulent , le soulagement est général, mon amour se rapproche doucement, découvre et savoure pour la première fois l’émotion intense que procure cette vision, ma fille est en larmes.

Malgré tout, nous étions conscients que rien n’était acquis pour autant. Ayant 40 ans nous avions une autre étape à franchir et non des moindres… L’amniocentèse…Par contre cet examen ne m’effrayait pas vraiment, le seul souci était de savoir où pratiquer cet examen délicat, dans mon hôpital « de campagne » ou dans un endroit mieux adapté, plus « compétent » après avoir posé un millier de questions, ma gynéco « de campagne », extrêmement prévenante et délicate nous fixe un rendez-vous le 6 novembre, l’examen se passera pour le mieux sans douleur juste un peu d’inquiétude connaissant les risques liés à cette intervention et puis, commence l’interminable attente des résultats.

Mais mon bébé se manifeste beaucoup, chaque petit coup me comble et me rassure, ce contact intime que j’ai avec lui est privilégié, je le sais. Je suis heureuse, les mains constamment posées sur mon petit ventre qui s ‘arrondit chaque jours un peu plus. Bientôt, lorsque nous aurons eu les résultats, nous commencerons à préparer la chambre de notre bébé, nous pourrons enfin courir les boutiques avec ma fille, c’est tellement mignon, tentant et……. indispensable.

Au matin du 22 novembre, je suis sereine, je prépare le repas pour mon fils, nous allons manger en tête à tête ce midi, ma fille étant chez une copine et mon amour retenu au bureau, cela n’arrive presque jamais et c’est alors que le téléphone sonne, je ne sais pas à cet instant que ce coup de fil vient de l’enfer.

La secrétaire de ma gynéco m’annonce que mes résultats sont arrivés et que le caryotype est bon, je ne lui laisse pas le temps de continuer et lui dit que si j’étais à ses côtés je l’embrasserais, je pense l’entendre sourire, ce doit être chouette d’annoncer de telles nouvelles… et je l’entends me dire « je vous passe le Dr G….elle va vous expliquer le reste des analyses… »Je ne pense pas une seule seconde qu’il y ait un reste d’analyse qui puisse être mauvais puisqu’elle vient de me dire que le caryotype est bon. C’est à cet instant précis que les portes de l’enfer se sont ouvertes et la spirale infernale ne me lâchera plus. J’entends vaguement « présence d’enzymes » « tube neural » qu’est-ce que ça veut dire tous ces mots ??!… je ne comprends pas, ne veux pas comprendre, je ne veux pas entendre ça, non docteur ! pas ça !, je vous en prie, pas un « spina bifida » pas mon bébé : je prends de l’acide folique depuis plus d’un an… c’est bien pour éviter ça que l’on en prend…

J’appelle mon amour au secours « il faut que tu rentres, maintenant, oui tout de suite il y a un problème avec le bébé, je ne sais pas si c’est grave, il faut faire une écho maintenant, tout de suite pour contrôler sa petite colonne vertébrale et le reste… »

Allongée sur la table d’écho, je tremble de tout mon être, je sais…. je sais déjà que c’est foutu, que ce ne sera pas bénin, tout mon corps est en alerte, je serre la mains de mon amour si fort qu’il gardera un long moment la trace de mes ongles incrustés dans sa chaire.

Avec une infinie délicatesse ma gynéco cherche les traces de la maladie sur le petit corps de notre enfant qui restera une heure dans la même position , dissimulant au mieux ses lésions, remuant néanmoins énergiquement ses petites jambes. Cette spécialiste tente de nous rassurer un peu, du coup on a l’impression que ce n’est pas trop grave et moi je pense « mon bébé doit se demander pourquoi sa maman tremble ainsi, ce doit-être un véritable séisme pour lui ».

Après une heure d’echo elle nous annonce, désolée car elle sait à ce moment ce qui nous attend mais essaie de nous affoler le moins possible, elle me le dira lors de ma visite post -natale, qu’ il faut un autre diagnostic, dans un autre hôpital plus « compétent » mieux appareillé, qu’en cas d’interruption de grossesse (img) notre dossier devrait être soumis à un conseil…

Voilà, le mot est lâché, mordant, agressif, dévastateur INTERRUPTION de grossesse . Le monde vient de se dérober sous mes pieds, dès lors mon cœurs s’est mis à pleurer et mes yeux n’ont eu de cesse que de déborder, l’horreur venait de sonner à la porte de notre bonheur pour ne plus nous lâcher, je suis à 21 semaines de grossesse.

Un rendez-vous est pris à la maternité pour le lundi suivant le 27 novembre, en attendant il faut annoncer l’innommable, le faire avec beaucoup de tendresse et de tact pour mes enfants qui ne comprendront pas pourquoi le sort s’acharne une troisième fois, c’est tellement injuste et désolant. Ma fille hurlera, mon fils pleurera à l’école, pour ne pas me faire souffrir plus, pour me protéger. Il me dira un soir où beaucoup de larmes couleront à l’heure des confidences « il faut arrêter de faire des bébés j’en ai marre d’être triste »

Le vendredi précédant ce rendez-vous, je récupère mon dossier chez ma gynéco, je suis ravagée par le chagrin, lui pose une multitude de questions macabres concernant la façon dont on allait s’occuper de moi et de mon bébé au cas où… et j’obtiens bien entendu les réponses, si terribles à entendre, accouchement déclenché, autopsie, prise en charge du corps de mon bébé par l’hôpital, incinération commune, et moi j’entends torture, charnier, Auschwitz, four crématoire… l’horreur dans toute sa grandeur.

Je passe mon dernier week-end avec mon bébé, y pense sans arrêt mais j’ai cessé de me nourrir depuis deux jours, remets mes jeans et me cache sous de grands pulls « je ne suis déjà plus enceinte » je commence mon deuil sans le savoir …

Je fais des recherches sur l’img sur internet et découvre le site de « Petite Émilie » je passe de longues heures à lire les divers et très nombreux témoignages, je pleure sans cesse, tant, que je me demande si c’est bien d’être là.

Lundi 27 novembre, nouvelle écho à JDF cette fois, je ne tremble pas, je suis triste car je sais… Nous sommes rapidement pris en charge, deux obstétriciens sont là, l’écho révèle cette fois ces terribles maux dont souffre notre tout petit « spina bifida de forme sévère, lésions cérébrales, L4 et L5 touchées, malformation d’un pied » et…. c’est un petit garçon. Seigneur, nous n’avions rien vu de tel cinq jours plus tôt. Notre dossier sera, sans aucun doute, accepté; on nous explique le protocole pour ce type d’intervention, nous sommes comme des zombies, je pose encore beaucoup de questions et dis que je ne souhaite pas accoucher normalement (c’est beau un accouchement…)je ne veux pas prendre de médicaments, je veux une césarienne, que l’on m’enlève ce… cette…. chose, que je ne veux pas savoir, surtout pas voir et dormir, dormir, dormir… On nous explique que ça ne se passe pas comme cela, on nous dit l’importance de l’accouchement thérapeutique, qu’il faut vivre les choses afin de pouvoir les assimiler, faciliter le travail de deuil… Les médecins ne nous bousculent pas, nous disent simplement comment avancer sur ce terrible chemin, nous pensons savoir, eux savent… Ils me disent aussi que nous pouvons attendre une semaine afin d’atteindre les 22 semaines nécessaires pour la reconnaissance civile de notre enfant mais c’est au-dessus de mes forces, maintenant le plus vite sera le mieux, je suis déjà tellement attachée à ce petit être qui va devoir partir bientôt. Nous fixons la date de prise de médicaments 2 jours plus tard et mon admission le jeudi 30 novembre pour un déclenchement le lendemain.

Juste avant de les quitter, je leur parle du site Petite Émilie, ils connaissent et me demandent si j’ai regardé le petit film. Quel film?

Le soir même je retourne sur le site et visionne le petit film qui rend magnifiquement hommage à Ayline et, découvre tendrement à quoi ressemble un bébé de vingt semaines et je sais à cet instant que je n’aurai plus peur de la rencontre avec mon fils, mon ange.

Merci, merci, merci aux parents d’Ayline de m’avoir aidée, grâce à leur propre histoire, à ouvrir les yeux et ouvrir mon cœur afin d’accueillir mon ange comme il le méritait.

Durant les quelques heures qu’il me restaient, j’ai préparé le départ de mon bébé, lui ai acheté un doudou avec lequel j’ai dormi les nuits précédant son arrivée et son envol, j’étais prête, si tant est que l’on puisse être prêt pour ce genre de choses…

J’étais déchirée, fracassée, terrifiée, le cœur brisé mais nous n’avions plus le choix.

MON ANGE, tu es venu te blottir au creux de mes bras à 16h25 le 1er décembre 2006, ton papa et moi t’avons regardé de longues minutes, nos cœurs étaient si lourds et si plein d’amour pour toi, j’aurais voulu te serrer plus fort mais tu étais si petit… puis tu es reparti avec ton doudou imprégné de nos parfums, dans les bras de la gentille dame, à ce moment j’étais si fatiguée et tellement soulagée des atroces douleurs qui avaient précédé ton arrivée que j’ai dis à ton papa que la mort serait peut-être douce…. il me suffisait de fermer les yeux pour te rejoindre.

Samedi 2 décembre, je quitte la maternité, y laissant mon tout petit, seul, comme il m’est douloureux de partir avec ce sentiment horrible d’abandonner mon enfant, de ramener chez moi mon bagage de tristesse, avec la désagréable sensation de déposer ma douleur dans toutes les pièces de la maison, ma maison que j’aime tant, dans cette chambre que nous allions commencer à décorer pour notre bébé. Il me fallait faire le deuil de mes projets aussi, un long parcours s’ouvre soudain à moi, comment vais-je y arriver ????

13 jours de tristesse et de désarroi plus tard, tout se bouscule dans ma tête, je m’affole, j’erre comme une âme en peine, où est mon bébé ? L’autopsie? L’incinération? Où en était-on ? Je téléphone immédiatement à la maternité, il faut que je sache, maintenant, AU SECOURS ! Je perds pieds.

Je laisse un message, pour le DR Dumoulin, spécialiste du deuil, elle me rappelle en fin d’après midi alors que je viens d’avoir le soutien téléphonique de Anne, secrétaire de PE.

Enfin des nouvelles ! Quelqu’un qui sait… qui trouve les mots pour me rassurer , je la rencontre 2 jours plus tard, elle m’explique, me rassure, me dit que ma réaction est normale, non! je ne suis pas folle, que mon bébé est en attente pour l’incinération et moi je pense « où est son doudou ? ». Que le prochain « convoi » est prévu le 22 décembre, et là à nouveau j’imagine des horreurs, je n’entends pas convoi funéraire, je vois à nouveau les trains à destination des fours crématoires, horreur !!! Je suis à fleur de peau, tout est dramatique, tout est triste, rien ne va plus.

Doucement le Dr Dumoulin m’aide à faire face, me donne de précieux conseils pour accompagner mon bébé de manière symbolique et se démène pour réunir un maximum de souvenirs nécessaires à ma reconstruction (photos, bracelet de naissance…) me dit que tout sera fait dans le respect et la dignité, je m’apaise, suis contente de savoir que mon petit sera définitivement parti pour Noël, qu’enfin il sera dans les bras de son papy.

Connaissant maintenant la date de l’incinération (juste 3 semaines après mon accouchement) mais hélas pas l’heure précise, je décide de me rapprocher du curé de la paroisse du village où se trouve le crématorium , afin de lui demander s’il était possible de me recueillir dans son église à 16h25 (heure de la naissance de mon ange) ce jour là et j’ai la chance de tomber sur quelqu’un d’ extrêmement attentif à ma demande et qui accepte ma requête sans hésiter alors que cette église n’ouvre ses portes que très rarement, il me dit que si ce n’est lui qui m’accueillera, faute de temps, qu’il missionnerait des dames de la paroisse afin qu’elles m’accompagnent dans mes prières, je suis touchée.

L’heure de dire au revoir à mon fils arrive enfin, je me rends, accompagnée de ma meilleure amie, dans l’église, deux dames m’attendent et nous accueillent chaleureusement, elles ont pris soin de chauffer l’édifice et ont préparé une « mini » cérémonie, prières, chants et poèmes font de cet instant un moment de recueillement auquel je ne m’attendais absolument pas et suis à nouveau touchée par tant d’humanité, le curé se joint discrètement à nous le temps d’une prière, il me dit avoir voulu me soutenir un instant et cela malgré son emploi du temps chargé, j’étais apaisée. Merci.

Nous trouvant non loin du crématorium, je décide de m’y rendre, juste pour voir, mais sur place j’ai envie de savoir si la crémation à déjà eu lieu, un homme m’accueille et me dit qu’effectivement « les caisses » étaient arrivées tôt le matin et que du coup cela avait été fait tout de suite.

Seigneur !!! « les caisses » mais mon bébé n’est pas dans une caisse ! On m’a parlé de cercueils pas de « caisses » je pense qu’il s’aperçoit de sa maladresse, je le sens extrêmement mal à l’aise, il n’a pas les mots qu’il me faut à cet instant, il me parle de « résidus humains anonymes » mais mon bébé n’est pas un résidu !! j’ai envie de hurler mais de quoi parle cet homme ? En trois mots il détruit les minces fondations que j’avais commencé à construire, consolidées une heure plus tôt dans mon église, et ça par manque d’information et de formations adaptées, c’est ignoble !

Il m’accompagne gentiment jusqu’au jardin du souvenir, me montre où ont été déposées les cendres et me laisse avec ma peine,apparemment désolé par mon chagrin, s’est-il seulement rendu compte…

Dites- moi pourquoi ces lieux de recueillement sont fermés les dimanches et les jours fériés, expliquez-moi comment montrer au papa de Gabriel l’endroit où est son fils, comment je récupère de façon symbolique quelques cailloux que je veux déposer près de mon père, comment je dépose le petit sapin de Noël et son ourson, à cet endroit ? Et bien je vais vous dire comment l’on fait dans ce cas, on regarde autour comment entrer quand même et on saute par dessus la barrière en priant pour qu’il n’y ait pas un doberman affamé dans la cour, voilà comment le papa de Gabriel à fait connaissance avec cet endroit terrible sans avoir un instant avec moi à ses côtés pour se poser, il a ramassé quelques cailloux et m’a rejointe, simple geste d’amour , simple geste rassurant le cœur d’une maman, mais tellement important.

Un mois jour pour jour vient de s ‘écouler depuis ce jour et je me sens mieux, lorsque je repense au jour de Noël, je souris, un sourire pour mon ange.

J’ai depuis quelques jours les photos promises par le Dr Dumoulin, je les ai regardées en sa présence c’était préférable, nous en avons parlé et elles m’ont rassurée sur le choix que nous avions fait et même si je ne les regarde pas sans arrêt, je sais qu’elles sont là et c’est bien…

Ma chance… avoir, durant un instant côtoyé un ange dans ce monde cruel.

Je remercie toutes les personnes qui ont pris le temps de se poser avec moi et près de moi, à essayer de comprendre, de trouver les bons mots et les bons gestes dont j’avais besoin.

Je suis ravie aussi d’avoir été accompagnée dans les pires instants de ma vie par du personnel hospitalier extrêmement compétent et compatissant et souhaite que ceux qui ne savent pas, fassent l’effort d’apprendre afin de comprendre …

Hélène, Février 2007