Justine, notre Petit Ange

Justine est notre premier bébé.

Nous avons vécu ensemble 8 mois (durée de la grossesse)et 13 jours.

Après une grossesse comme toutes les autres, le 14 mars 2001, notre petite fille est venue au monde .

Justine avait un petit problème de respiration qui a tout de suite inquiété les médecins. Elle a été transférée au centre hospitalier de la région alors qu’elle n’avait que quelques heures. Et moi je restais là, sans mon bébé, sans ma petite fille, avec le sentiment qu’à peine maman j’avais abandonné mon bébé et ne pouvais le protéger.

Pour nous, jeunes parents, la situation ne ressemblait en rien à ce que nous avions imaginé, mais il n’y avait pas de réelle inquiétude, il ne s’agissait que de quelques jours et d’un peu de patience, tout serait vite oublié une fois de retour à la maison.

Mon mari s’est alors partagé entre Justine et moi. A sa plus grande joie, il a ainsi pu créer de merveilleux liens avec sa fille et avait en charge de me raconter ses moindres gestes.

Justine est née mercredi 14 mars à 5h25 du matin et à été transférée à 20h aux soins intensifs. Vendredi 16 au matin elle a fait un malaise respiratoire et a été transférée en réa, et intubée. Là notre angoisse s’est fortement accentuée. C’était le début d’un cauchemar.

Je suis allée la voir cet après midi là, alors que je l’avais quittée deux jours plutôt, dans le service de réanimation néonatale. Pour moi c’était comme une première rencontre avec ma petite fille.

Elle était parfaite, mais si fragile avec tous ces fils.

Nous avons passé à trois un moment inoubliable, et c’est le papa qui s’est chargé de faire les présentations.

Samedi 17 mars j’étais enfin transférée auprès de ma fille. J’étais si heureuse d’être avec elle que j’oubliais tout le reste.

Malheureusement les médecins sont là pour vous remettre les pieds sur terre. Au départ nous sommes parti de l’idée d’une irritation ou d’un étirement des cordes vocales à cause de l’accouchement. Puis on a parlé de paralysie des cordes vocales, sans doute temporaire, ce qui empêchait Justine de respirer seule pour le moment.

L’échographie trans-fontanelle ne montrait rien, ou peut-être un infime chose, et pour en savoir plus il fallait attendre la réunion des neurologues qui n’avait lieu que le lundi soir suivant, le 19 mars.

Tout a été fait comme il le fallait, tout le monde a pris soin de Justine, mais heure après heure on nous faisait comprendre qu’il ne s’agissait pas simplement d’un traumatisme du à la naissance ou aux quelques heures avant, mais peut-être, uniquement dans le pire des cas, d’une malformation du cerveau. Malformation si grave que rien n’était possible : l’indépendance, le relationnel…

Nous regardions notre fille sous toutes les coutures et rien ne nous paraissait anormal, à part les fils, les tubes, les machines, leurs bruits… bref le lieu où nous étions tous les trois.

Un Irm devait avoir lieu au plus vite, pas avant la fin de la semaine. Cette attente était terrible pour nous. Chaque nouvel examen confirmait de plus en plus la pire des hypothèses, celle qui au départ nous avait été présentée comme la moins probable.

Nous passions un maximum de temps avec Justine, et profitions de chaque instant de bonheur avec elle en essayant de chasser de notre esprit les plus vilaines pensées.

Mais il est difficile de tout oublier au milieu des machines, des blouses blanches, de ce lieu qui semble irréel, des couloirs où de partout jaillissent des femmes avec leurs enfants dans leurs berceaux profitant de cette nouvelle vie sans savoir…

Les médecins nous ont demandé de réfléchir à ce que nous ferions si elle devenait handicapée, sans aucun relationnel, tributaire de machines à vie … ces paroles nous hantaient, nous les rejetions de toute notre force, mais la question était là, et pour elle, pour nous, il fallait l’envisager. Ses crises épileptiques ne se calmaient pas et laissaient sans doute des séquelles dans le cerveau de notre petite fille.

Avec Justine nous avons passé les plus beaux moments de notre envie, mais dès que nous nous retrouvions à deux, le monde s’écroulait devant ce qu’était devenue notre vie.

Mais il fallait se poser les bonnes questions avant que l’on ne décide à notre place. Nous voulions avant tout, comme tous les parents, le bien de Justine , mais par où passait-il ? ? ? aujourd’hui encore nous nous posons souvent la question.

Puis le jour de l’IRM est arrivé. Le verdict a été immédiat. Nous étions dans le pire des sénari, celui du rien n’est possible ! Très grave malformation du tronc cérébral ..maladies orphelines … etc…

La terre sous nos pieds s’est effondrée, avec tout ce qu’il y avait autour. Mais ça n’était pas tout : ” il n’était pas légitime de laisser notre fille sous assistance ” d’après ce qu’on nous a dit. Cela signifiait bien évidement la perdre, nous l’avions compris.

Mais ça ne suffisait pas encore, il fallait attendre lundi soir, soit trois jours, que ces mêmes médecins que la première fois se réunissent pour entériner le verdict, et en attendant il fallait vivre avec elle et nos démons. C’est à ce moment là aussi qu’on nous a annoncé qu’ il se pouvait que le mal de Justine soit génétique et donc que ses futurs petits frères ou petites sœurs souffriraient peut-être des mêmes malformations.

Et en plus de tout ça, il fallait décider, quand arrêter la machine, dans quelles conditions,…, et même si on vous dit que ” c’est le corps médical qui prend la décision et que nous ne sommes pas responsables, que pour ne pas arrêter les machines il nous faudrait être très convaincants… ” il n’y a rien de rassurant.

Ce vendredi soir, dans ce petit salon avec ses fauteuils verts, notre vie s’est effondrée à jamais, nous perdions un morceaux de nous et nous détachions encore un peu plus du monde que nous avions connu jusqu’alors.

Aujourd’hui tout ça me hante encore !

Ce vendredi soir il nous a été très difficile de retourner auprès de Justine et de lui parler comme nous le faisions les jours précédents. J’ai alors décidé de quitter la maternité, il ne fallait pas que je me sépare de mon mari, il fallait que j’apprenne dès ce jour à rentrer à la maison sans elle, puisque de toutes les façon elle n’y viendrait jamais.

J’ai eu beaucoup de mal à la laisser ce soir là, ça c’est fait dans les pleurs, et au fur et à mesure des kilomètres qui nous séparaient, mon cœur se déchirait un peu plus. Mais il fallait être fort, pour elle, car elle l’était pour nous.

Nous étions anéantis mon mari et moi, et ne savions ni quoi nous dire, ni nous regarder dans les yeux.

Le lendemain matin nous étions à son chevet le plus tôt possible. Nous la regardions à la fois avec joie et avec une immense détresse. Mais nous nous étions promis de ne rien changer à notre comportement. Et dans ces moments là, heureusement les choses sont bien faites, nous avons été très forts l’un et l’autre.

Malgré tout ce qu’on nous avait expliqué, nous ne comprenions pas pourquoi il fallait attendre aussi longtemps, trois jours, alors que l’avenir était déjà tracé.

Et même si à l’époque nous en voulions beaucoup aux médecins de cette attente, aujourd’hui nous ne les remercierons jamais assez de nous l’avoir imposée. Ce week-end que nous avons passé avec Justine a été et sera le plus beau de notre vie.

Rien ne devait entraver notre bonheur : nous profitions d’elle, nous la prenions le plus possible dans nos bras, nous lui faisions sa toilette, lui changions sa couche, lui chantions des chansons …. Comme tous les parents avec leurs bébés.

Auprès d’elle le temps n’existait pas, mais le soir, lorsque nous rentrions chez nous, tout s’écroulait de nouveau.

Jusqu’au Dimanche 25 mars nous n’avions pas voulu la partager avec d’autres membres de la famille de peur de ne pas pouvoir profiter assez d’elle. Nous avons alors décidé de la faire baptiser. Ce dimanche a été un grand jour pour elle, car elle rencontrait sa famille, et pour sa famille qui pour la majorité venait lui faire un coucou et un au revoir à la fois.

Pour nous c’était une joie aussi de la voir parmi eux,…, mais les minutes s’écoulaient irrémédiablement vers un ” au revoir ” et nous n’y pouvions rien. Chacun a retenu ses larmes pour que nous puissions vivre le plus intensément possible ce moment.

Ce dimanche nous a redonné un formidable espoir car pour la première fois nous la voyons sans cesse ouvrir les yeux et sourire, ce qu’elle ne faisait pas ou presque pas les autres jours, sans doute à cause des médicaments que nous avions allégés en quantité alors qu’ils la fatiguaient beaucoup jusque là.

Avec le recul je sais maintenant que tous ces sourires et ces yeux grands ouverts avaient un but : nous donner le courage de vivre sans elle après, de vivre avec de beaux souvenirs. Nous étions si heureux tous les trois.

La réunion des médecins du lundi soir n’a fait que confirmer ce qui avait été déjà dit. Et de nouveau la réalité venait nous achever. Il est vrai que pendant le week-end nous avions repris énormément espoir en la voyant autant s’éveiller. Mais les miracles, ça n’était pas pour nous !

Une fois de plus nous avons du prendre des décisions qui nous dépassaient, en terme de prélèvements, d’autopsie… C’était un cauchemar. Elle était là et on pensait déjà à l’après….

Mardi 27 mars matin j’ai eu beaucoup de mal à me dire que je passais mes dernières heures à être maman. Je me devais de retenir chacun de ses gestes, de ses expressions… pour en avoir plein la tête pour toute la vie. Elle nous a à nouveau fait des tas de sourires, jusqu’au dernier moment, au tout dernier moment !

Nous nous sommes fait des bisous, des câlins, nous sommes dits des secrets, et puis il a fallu dire ” maintenant ” et là j’ai eu l’impression d’être un monstre. A la fois je ne voulais pas, et je n’en pouvais plus d’attendre, c’était insoutenable.

Le professeur a desintubé notre petite fille, l’a placée dans mes bras, et elle s’est très vite endormie pour toujours sous notre regard.

C’était le 27 mars 2001, un mardi, entre 15 et 16 heures.

Depuis, tous les mardis à la même heure, je me dis que j’aurai du leur dire ” encore une heure avec elle s’il vous plait “. Et si j’avais su les convaincre de la laisser avec sa machine? ? Je suis une mauvaise mère, la pire qui soit car je n’ai pas pu sauver ma petite fille.

Il y a beaucoup de ” Si ” qui nous entourent : que s’est-il passé dans le petit corps de JUSTINE ? pourquoi n’a-t-on rien vu avant ? ou la possibilité d’avoir peut-être un jour d’autres enfants, ……. , et aujourd’hui je cherche parfois encore des réponses, mais elles n’existent pas.

Sans ces réponses rien n’est encore possible, juste un peu plus d’incertitude dans notre vie de tous les jours.

Ma seule conviction est que Justine a vécu 8 mois en moi et 13 jours, qu’elle s’est battu pour nous, pour nous donner son amour autant qu’elle le pouvait. J’espère qu’elle a reçu le notre avec autant d’intensité.

Aujourd’hui nous nous battons à deux pour vivre, réapprendre à vivre, vivre autrement avec elle, dans un monde qui a du mal à nous comprendre.

On n’a plus goût à rien, on se sent différents, inaccessibles, fragiles,…, et Tristes. Je suis sans cesse ” vide d’elle “. Et elle me manque tant.

A ce moment de ma vie, j’ai besoin de parler, de me battre pour faire exister ma fille auprès des autres. Une chose est certaine, et personne ne peut nous l’enlever : nous sommes parents, nous avons une fille, et que personne ne nous dise le contraire un jour !

Merci du temps que vous avez consacré à lire notre histoire. Je suis heureuse qu’une personne de plus connaisse notre petite Justine.

Une maman.

Juin 2001