Oscar

“… dans la nuit du 14 au 15 mai 2011, je donnais naissance à un petit Oscar que j’avais gardé au chaud pendant cinq mois et demi mais qui, pour une raison restée mystérieuse, a arrêté de grandir. Triste ironie puisque nous avions choisi ce prénom en hommage au héros du roman de Günther Grass, Le tambour, dans lequel un petit garçon décide, à l’âge de trois ans et demi, d’arrêter de grandir pour ne pas avoir à devenir adulte. Comme pour beaucoup de parents, tout est arrivé brusquement pour nous : début de grossesse idyllique, pas de nausées, de fatigue, ni autres désagréments.

A quatre mois de grossesse, j’ai commencé à le sentir bouger et je savais déjà que ce serait mon petit Oscar. Ce n’est qu’à l’occasion de la visite mensuelle de routine à 24 semaines que la gynécologue a posé le verdict sans appel : “votre bébé ne va pas bien du tout. Je crains qu’il n’y ait rien à faire”. A partir de là, tout est allé très vite. Hospitalisation, déclenchement, travail et accouchement. Je n’étais pas préparée, personne ne l’est jamais. Mon compagnon a dû rentrer d’urgence de voyage et on l’a attendu pour déclencher l’accouchement. Le petit cœur d’Oscar s’est épuisé et avant même sa naissance, il était déjà mort. On m’a demandé si l’on avait un prénom; si l’on voulait le voir mais avant l’accouchement, on me le décrivait en tels termes de souffrance que j’avais peur de donner naissance à un monstre.

Et puis le 14 mai à 12h, on m’a donné un comprimé pour déclencher le travail, en me prévenant que cela pouvait durer des heures et des heures. A 2h du matin, le 15, je le délivrais et il nous quittait. On nous a à nouveau demandé si on voulait le voir et le moment était tellement beau, fort et magique que l”on a dit oui et depuis ce jour, on ne l’a jamais regretté. Je n’ai jamais regretté de l’avoir eu quelques minutes sur ma poitrine, ce petit corps tout beau, tout formé, à la peau si douce, avec ses petites fesses à l’air. Je n’ai pas été maman longtemps mais je l’ai été en le caressant et en le tenant contre moi. Il a ensuite été autopsié puis incinéré, à notre demande, mais auparavant, des photos ont été prises que je garde toujours avec moi mais que je n’ai jamais pu regarder. A la sortie de l’hôpital, nous l’avons emmené en pensée avec nous et sommes allés l’enterrer dans une forêt où l’on retourne souvent. C’est notre endroit à tous les trois.

Aujourd’hui, un an après, il nous manque toujours mais il vit avec nous. C’est notre petit garçon, notre petit Oscar qui n’a pas osé dire qu’il allait mal, qui n’a fait aucun bruit en partant et moi, je n’ai rien senti, rien deviné. Nous attendons à présent une petite fille qui doit arriver en août, qui va bien pour l’instant et qui, contrairement à son grand frère, se manifeste, bouge et n’hésite pas à me rappeler à l’ordre quand je me fatigue trop. Nous en sommes évidemment heureux mais ce bonheur est, nous le savons maintenant, fragile et éphémère. A chaque nouvelle écho, je me demande ce que l’on va nous annoncer. Celle du 5e mois a été une torture, craignant de revivre le cauchemar de la première fois. Et quand je ne la sens pas bouger, il y a des images et des pensées horribles qui me viennent. Cette année a été dure mais nous n’avons pas baissé les bras. Pour Oscar. Il n’aurait pas voulu d’une maman pleurnicheuse et plaintive. Dans ce combat, la prise en charge à l’hôpital par les sages-femmes à B. où j’ai accouché puis l’écoute et les échanges avec le Dr. M. D. dans le cadre de l’association “Nos tout-petits” ont été fondamentaux. Nous n’avons pas eu l’envie ni le besoin d’être suivis psychologiquement mais je savais, comme au début de cette 2e grossesse, que si j’avais besoin de parler à quelqu’un, je pouvais appeler le Dr. D. qui me recevrait rapidement, m’écouterait et m’aiderait. J’ai également assisté une fois, en septembre dernier, à la réunion mensuelle de groupe de l’association, mais toute cette souffrance des parents est pour l’instant trop difficile à entendre. Un an après, je revis avec la même intensité ces moments mais nous savons aussi en retenir “le meilleur” : comme me le disait M. la première fois que nous nous sommes vues, Oscar m’a appris à quel point je pouvais aimer et curieusement, il nous a offert, dans cette chambre d’hôpital au creux de la nuit, les moments les plus forts qu’il nous ait été donné de vivre, mon compagnon et moi. Tout cela nous a d’ailleurs soudé de manière exceptionnelle et lui comme moi savons déjà que si un jour la vie doit nous séparer, nous garderons toujours ce moment comme unique et indélébile.”

Hélène, mai 2012