Enéa

Ever a 8 ans, Enzo a 6 ans, Engy a 13 mois et Enéa est née sans vie le 2 aout 2007. Depuis c’est l’apocalypse dans cette vie. J’ai lu depuis 3 jours beaucoup de témoignages de parents effondrés mais ô combien courageux et bouleversants d’amour. Je vous en remercie. Demain cela fera 8 longues semaines que notre petite fée s’est envolée. Tout avait pourtant si bien commencé…

1er mars : test positif. Mon homme panique, Engy n’a que 6 mois, la maison est trop petite, la voiture aussi, pour moi ça je m’en fiche, mon bébé 4 est là. Mon rêve de famille nombreuse se réalise : merci la vie. Nous attendons la date fatidique de la prise de sang pour savoir le “sexe” de bébé. J’ai une mutation sur un “x” et j’ai 1 chance sur 2 si c’est un petit garçon qu’il soit porteur d’une maladie orpheline (maladie dont est atteint mon fils Enzo et qui après une grossesse et une naissance catastrophes suivies de 3 ans1/2 pour enfin savoir le nom de l’étrange syndrome : prise en charge particulière etc …). Donc il est bien entendu dès le départ avec ma moitié qu’on ne prendra pas de risque si c’est un garçon porteur de la mutation. On attend donc 12 semaines d’aménorrhée. Le résultat est là, c’est une petite fille. Je suis folle de joie, pourtant je n’annonce l’heureuse nouvelle à toute la famille que très tard, nous sommes le 10 juin et on est tous réunis pour fêter les 6 ans d’Enzo. Ma grand-mère manque de s’étouffer, mon frère me fait une blague douteuse sur le sujet mais rien ne m’atteint, je suis indestructible et bientôt à la tête de ma tribu. Le 25 juin rdv pour l’écho des 22 semaines, je suis zen ; Laurent m’accompagne, il a pu se libérer ce qui n était pas prévu. L’examen se passe normalement, le gynéco n est pas bavard mais on commence à le connaître… Il me dit de me rhabiller et là je lui demande avec mon plus beau sourire “tout va bien ?”, “rhabillez vous il faut que je vous parle d’un petit quelque chose”.

Le monde s’écroule, j’ai déjà vécu l’enfer avec Enzo non ce n’est pas possible il se trompe. Pourtant, assise au bureau, je le vois s’attarder sur la colonne et il compte et recompte les vertèbres. Tout de suite je sens que c’est grave. Après une éternité il nous annonce : 2 pieds bots varus équins ce n’est pas très grave mais rdv est fixé avec un gynéco spécialiste des grossesses à risques. Le soir avec mon homme on va voir ce que sont des pieds bots, j’espère ne heurter personne mais c’est vrai qu’à ce moment là ça m’a fait peur. Quinze jours au fond du trou puis à force de renseignements et de témoignages de parents ayant vécu cela j’ai repris espoir en me disant “certes c’est peut-être contraignant, ça va demander beaucoup de temps mais au final bébé aura une belle vie” et j’étais dans cette optique optimiste. On m’avait fait une amnio car il existe 2 sortes de pieds bots : ceux qui sont dits “isolés” il n’y a rien d’autre d’associé et les autres qui sont dits “secondaires” et qui sont en fait une conséquence de maladies neurologiques, musculaires, et qui ne sont pas soignables. Nous voilà début juillet, on est dans l’attente, les enfants sont en vacances, il faut qu’ils s’amusent bien que nous leur ayons expliqué la vérité sur le bébé. Ils sont inquiets. Premiers résultats de l’amnio il y a bien 46 chromosomes, rassurant et optimiste le généticien, faut pas que je m en fasse, il y a vraiment très peu de “chances” qu’on trouve autre chose à l’étude de structure des chromosomes. Puis 10 jours après c’est le coup de téléphone qui tue: “je veux vous voir en urgence, dès demain matin on a trouvé une translocation chromosomique sur le caryotype de votre bébé”. Et là je sais que c’est foutu. Depuis 1 mois, je lis tout sur le sujet, vais sur internet. Le lendemain le généticien nous explique dans son langage de scientifique que ce n’est peut-être rien, des tas de gens (1 sur 500 vivent avec ce genre de mutation sans le savoir car cela n’a aucune incidence sur leur vie), on nous fait donc une prise de sang pour voir si l’un de nous deux a cette mutation. Pour une fois je prie d’avoir ça en moi, après tout je suis déjà la seule de la famille à avoir cette mutation sur un “x” alors je veux bien prendre aussi cette histoire là. C’est notre dernier espoir pour la sauver, encore attendre et lundi 23 juillet, nouveau coup de fil cette fois c’est cuit, personne de nous deux n’a “ça”. Mes deux “grands” doivent partir en vacances le 27, il faut attendre leur départ. Je les prépare  enfin si on peut préparer des enfants à la mort de ce bébé qu’on attendait tous. Bien sûr je ne dis pas tout, je ne prononce surtout pas ces mots que je déteste “interruption médicale de grossesse”.

Le 2 août je rentre au matin à l’hôpital de Grenoble (mon gynéco étant parti 3 semaines en Corse en vacances et voulait que j’attende son retour pour faire l’IMG le 21 août ; “physiquement ça ne changera rien” nous a t-il dit, du coup obligée de partir sur Grenoble). La sage femme qui nous a pris en charge a été merveilleuse, nous n’avons vu qu’elle d ailleurs. Le passage au bloc a été monstrueux ; Lolo attendait dans le couloir, j’ai voulu la voir une dernière fois, elle avait l’ air si bien dans mon ventre, la dernière image que je porte en moi c’est de la voir sucer son pouce, puis après ils ont mis le champ pour ne pas que je voie mais elle m’a tout dit. D’abord votre bébé dort puis son petit cœur s’est arrêté et là j’ai cru mourir avec elle, cette douleur qui m’a déchiré la poitrine, cette sensation de ne plus pouvoir respirer… Physiquement tout a été fait pour que ce soit gérable. Jj ai accouché à 15h10 ce 2 août d’une petite fée prénommée Enéa, 980 grammes et si belle que je me demande encore comment c’est possible qu’elle soit atteinte de maladie neurologique et musculaire. Seuls ses pieds montraient qu’il y avait une différence. C’est insupportable tellement c’est le portait craché de sa sœur Engy. Nous avons décidé pour les enfants et pour nous aussi de la “ramener” à côté de la maison au cimetière du village.

Le 6 août à 18h, nous lui disions au revoir en attendant de la rejoindre. J’ai voulu moi-même faire la mise en bière, il était hors de question qu’un étranger la couche dans son cercueil, elle est partie avec des photos de nous, bien calées à côté d’elle pour ne pas qu’elle se sente seule, son doudou avec lequel j’avais dormi la veille et parfumé. A la maison on a gardé le maximum pour nous accrocher à elle, j’ai d’ailleurs tout acheté en double, pyjama, doudou, bonnet. Mais que c’est insupportable de n’avoir que cette petite boite. Sa tombe, je veux qu’elle soit aussi belle que l’aurait été sa chambre. J’ai un besoin viscéral d’y aller tous les jours quel que soit le temps et pourtant là-bas j’ai envie de tout casser, de la sortir de là et de m’enfuir avec elle. Que de pensées folles je ne ressasse. J’ai l’impression d’avoir un morceau de moi mort avec elle. J’en ai marre qu’ on me dise sans cesse que j’ai la chance d’ en avoir 3 et qu’il faut que j’avance. Je n’ai plus envie d avancer, je me lève tous les matins, j’amène les enfants à l’école, je vais aux rdv, les accompagne à leur sport, mais tout ça avec la sensation d’être un robot. Voir Engy progresser, elle marche, commence à dire quelques mots, au lieu de me réjouir cela m’enfonce encore un peu plus. Nous nous étions promis de respecter Enéa jusqu’au bout, je crois vraiment avoir fait ce qu’il fallait, nous l’avons respectée mais chaque jour qui passe est un calvaire, ce poids dans le ventre, dans le cœur, dans la tête, je vais devenir folle. Toutes ces femmes enceintes que je croise et que je maudis, ces gens sans humanité qui font comme si de rien n’était. Et il y en a partout, famille, collègues de boulot, amis c’est dingue !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Comment faire pour un jour pouvoir me regarder dans une glace sans avoir envie de vomir ? Mon corps me dégoute, tout mon être me dégoute,,j’ai beau penser à elle et me dire que le calvaire elle ne connaîtra pas ça ne me console pas, je n’ai envie de rien sauf peut-être une envie folle de taper, si au moins je pouvais me défouler !!!!!!!!! J’ai l’impression d’être une cocotte minute avec le bouchon qui tourne à plein régime dans un bruit assourdissant et qui est prêt à exploser, je fais tout pour contenir cette colère monstrueuse qui m’habite et je crains le jour ou ça lâchera. Je suis en colère après le destin, pourquoi nous  ?????????????????????????????????? On est plutôt sympa, toujours à aider les autres, réglos pour tout,,jamais profité du système, vaillants au travail, alors pourquoi ? Faut-il être des parents violents, alcooliques de surcroit, voleurs, menteurs et profiteurs pour avoir des enfants en parfaite santé ? Je hais la nature le destin et s’il y a une toute puissance là tout en haut je la hais de tout mon être de nous avoir encore infligé ce chagrin insurmontable………..Je ne sais pas si quelqu’un me lira mais mes pensées vont vers tous vos petits anges tant aimés et vers vous autres papas et mamans courage…………………………….

Roxane et Laurent, Ever, Enzo, Engy et Enéa notre petite fée d’amour, Septembre 2007