Marcel

Le temps s’est arrêté le 19 janvier 2014, je suis morte à l’intérieur ce jour-là.

Ma grossesse n’était qu’un rêve, si réel pourtant. Ce rêve a tourné au cauchemar le 19 janvier, j’ai tant de mal à réaliser que c’est terminé et que tu ne grandiras pas à nos côtés.

Il y aura 13 ans cette année que ton papa et moi sommes ensemble. Je suis son premier amour et il est mon premier amour… c’est rare, c’est beau, tu devais en être le résultat, tant d’amour entre nous qui a toujours su sauver notre couple quand ça n’allait pas, j’espère qu’il saura nous sauver de ta perte.

Nous avons vite travaillé pour vite vivre ensemble car notre vie nous ne la voyons que comme ça. Dès l’âge de 14 ans, nous savons tout de suite que c’est pour la vie. Ton papa est pour moi bien plus que mon amoureux, il est mon frère, mon ami, mon père, ma mère et mon amant, il a tous les rôles et les joue très bien, il me donne tout l’amour dont j’ai manqué, il me donne tant!
Il me laisse même penser qu’un jour je serai une bonne mère, que je pourrai donner tout l’amour dont j’ai rêvé enfant à un petit bout.
Ton papa nous pousse à acheter une belle maison qui aurait dû être la tienne dans un petit village. Il nous fait faire les choses dans l’ordre, étape par étape. Nous profitons de la vie, de nos amis si chers. Nous partons en vacances en moto comme nous les aimons, nous nous sentons libres.

Puis nous nous sentons prêts tous les deux pour une aventure à trois.
Simplement de prendre cette décision ensemble nous rend si heureux… Je t’imagine déjà, tu fais déjà partie de mes nuits.
Trois mois plus tard pensant que cela prendrait plus de temps, je vais dans le sud un weekend voir ta future marraine , ton cousin Aubin (qui me donne encore plus envie d’être maman) et tata marie (vous êtes nés le même jour…).
Ce weekend là ta marraine me donne des astuces pour être vite enceinte et tata marie me dit de me calmer quand je lui dis que je devrais être réglée et donc que j’espère…
J’ai très chaud, nous sommes mi-juillet mais je ne supporte pas la chaleur ce qui n’est pas habituel, j’ai même un peu mal aux seins mais surtout j’ai un pressentiment !
Quand je rentre à la maison et que je dis ce que je ressens à papa, il a peur que je me fasse de faux espoirs, il a raison je t’attends tellement que je pourrais m’en rendre malade. Il me conseille donc d’attendre un peu. Le lendemain il part en déplacement pour deux jours. Pour moi le pressentiment se fait de plus en plus fort, je crois finalement que je savais déjà que j’étais enceinte de toi. Je vais donc après le travail acheter un test de grossesse. Aussi tôt rentrée à la maison je fais le test, et comme prévu, deux barres, je suis enceinte !!!!!!!! Il se passe un million de choses dans ma tête qui me laissent sans voix. Puis il faut que je le dise à papa mais il ne rentre que demain soir, je ne vais pas lui annoncer par téléphone , j’attendrais mais ce fut long.
Le lendemain après le travail je cours à la librairie acheter l’encyclopédie de la grossesse car je veux tout savoir, tout contrôler et puis le guide du papa pour les nuls que j’offrirai à papa pour lui annoncer la grande nouvelle.
Papa est rentré tard, l’attente fut longue , je n’en pouvais plus. Il rentre enfin. Je lui offre le livre, il me saute dans les bras, je lis le bonheur dans ses yeux, je suis si heureuse ! A partir de ce jour notre couple s’est encore plus uni qu’avant, c’est merveilleux, je n’ai jamais été si heureuse!
J’ai envie de le crier à la terre entière, partager notre bonheur, mais ton papa est prudent et préfère attendre avant de l’annoncer à tout le monde, il pense au risque de fausse couche puisque notre belle-sœur vient de vivre cette malheureuse expérience. Pour moi ça n’est pas possible, mon bonheur est si fort cela ne peut pas m’arriver…
Au cours du deuxième mois nous l’avons annoncé à tout le monde et c’était vraiment merveilleux, je pouvais enfin en parler….
J’ai arrêté le travail à 3 mois de grossesse même si j’allais bien, je ne voulais pas prendre de risques. J’avais pour habitude de faire supporter à mon corps le stress et je ne voulais pas te faire supporter cela. Et puis je n’étais plus dedans, j’étais ailleurs avec toi.
Je n’ai pas regretté d’avoir arrêté si tôt, je vivais à mon rythme sans stress, je me sentais bien avec toi, de l’extérieur je ne faisais pas grand-chose, mais à l’intérieur cela n’arrêtait pas. Dans ma tête tout se préparait, ton avenir se construisait.
J’adorais le moment où je me couchais, je posais mes deux mains sur mon ventre et te sentais aussitôt, c’était à chaque fois merveilleux, une caresse et hop tu tapais! J’aimais aussi me regarder, c’est fou ce qu’on peut s’aimer enceinte… plus le temps passait, plus mon ventre s’arrondissait, plus j’aimais ça.
J’envoyais souvent des photos de moi et de mes achats pour toi à tata marie, pour que malgré la distance elle vive la grossesse avec moi. Je lui même fais la surprise de venir à Brest, pour qu’elle voit mon bidon et que je vois sa nouvelle région. Elle t’a même senti, elle était super contente. En dehors de papa et moi c’est la seule à qui tu as donné un coup quand elle a posé sa main sur mon ventre (hasard de la vie que tu sois né le même jour qu’elle?)

Vendredi 13 septembre, 1er écho, première fois que nous te voyons enfin. Tu es déjà le plus beau du monde pour nous, quel bonheur, tu bouges beaucoup, c’est super. Tout va bien, l’étape cruciale est passée, papa est soulagé , ouf!
Nous ne pouvons pas encore savoir ton sexe, mais moi je sais, je le sens que je porte un petit mec. Pourquoi ? inexplicable, mais je le sens.

22 novembre, 2ème écho, j’avais raison, un petit mec ! Merde on avait le prénom pour une fille ! Bon j’ai déjà mon idée mais papa a un petit doute. Il a peur pour toi que ça soit dur à porter alors il cherche, cherche mais dans le fond il sait déjà que tu t’appelleras Marcel ! Mais surtout tu vas très bien et tu bouges toujours beaucoup !!!
Les mois avancent très vite mais nous sommes prêts. Papa assure. Jamais je n’aurai cru qu’il serait si investi avant même ta naissance. Même dans ces réflexions il m’étonne, il pense au doudou qu’il faut en double, la table à langer dans la salle de bain pour que tu n’aies pas froid en sortant de ton bain….il est déjà papa, il me rassure. Je sais déjà que tu auras le meilleur des papas, c’est génial, je flotte sur un nuage.
Nous préparons ensemble ta venue au mieux, et nous nous éclatons même à tout préparer. Nous avons trouvé ta nounou qui plait beaucoup à papa. Pour moi difficile de me dire que je te laisserais à une autre femme mais bon elle est bien.
Nous avons ensuite préparé ta chambre. Elle est si belle, nous sommes si heureux de la voir terminée.
La grossesse m’a apaisée. Je me sens si bien, je veux juste partager mon bonheur avec les gens que j’aime. Je disais souvent que je pouvais toujours être enceinte tellement c’était bien. Que si l’accouchement se passait bien je pourrais faire plein d’enfants!
J’ai commencé les préparations à l’accouchement, la sage-femme me dit qu’elle voit rarement des femmes enceintes si épanouies et des papas si investis et si vite. Elle est surprise que tout soit déjà prêt.
Elle me dit de ne pas m’inquiéter pour l’accouchement. Je ne m’inquiète pas du tout!

Samedi 18 janvier Marion fête son anniversaire à Dunkerque, je suis fatiguée mais tellement contente d’aller voir les copains que je ne me pose pas la question, on y va après tout je ne suis pas malade, je suis enceinte .
En plus c’est l’occasion d’aller voir Jules mon petit frère. Il est content que je passe le voir, me caresse le ventre… il est tellement content d’être tonton.
Pendant la soirée je ne parle que de toi, je ne sais plus faire que ça. Je suis contente de voir tout le monde, de voir ton parrain qui a toujours un œil protecteur pour nous. Il voit même que je ne suis pas bien sur la chaise et me donne sa veste pour faire un coussin. Mais rien n’y fait je ne suis pas bien sur cette chaise, papa comprend vite et me propose de rentrer. Ouf il est super, je m’en veux de gâcher sa soirée, mais bon.
Sur la route les douleurs augmentent et me rappellent les coliques néphrétiques du mois dernier, je ne m’inquiète pas.
Je prends un bain, papa me masse. J’essaie de dormir mais la douleur finit par être trop forte je décide donc de partir à la clinique. Dans la voiture il y a ton premier doudou offert par Aurelie ce soir, je pense à toi avec ce beau doudou.
Nous arrivons en même temps qu’une femme qui a perdu les eaux, je la laisse donc passer avant c’est plus urgent. Super elle va accoucher.
Mais j’ai très mal et suis vite prise en charge. La sage-femme me met le monito, je lis 95 et dis à Rémi que ton cœur ne bat pas assez vite, jamais je n’ai imaginé qu’à ce moment-là ton cœur ne battait plus que c’était juste le mien. Je n’étais pas inquiète!
Ensuite une sage-femme me fait une écho, ça me fait mal mais je te vois sur l’écran, toujours le même bonheur de te voir.
Elle ne dit rien, elle sort. Une autre sage-femme refait une écho et nous regarde avec un air dramatique et nous dit que quelque chose de grave s’est passé, que le placenta s’est décollé mais pour moi ça n’est pas grave, ils vont me faire accoucher, c’est bon.
Jusqu’au moment où elle nous dit : « désolée, il n’a pas survécu ». A partir de ce moment, je suis dans un film, ça n’est pas possible, ce que j’ai entendu n’est pas vrai, tu es là, c’est un cauchemar.
Cinq minutes plus tard je suis au bloc parce que c’est grave aussi pour moi parait-il. Il y a beaucoup de monde, je crois qu’on m’attach , j’ai mal et on m’endort .
Deux heures plus tard, je me réveille, papa est à côté de moi en pleurs et me dit qu’on va s’en sortir.
Je ne vois plus mon ventre, c’est un cauchemar, non ce n’est pas réel. On te ramène, te pose sur moi, mais tu es mort.
Tu es si beau Marcel, mon fils. Comment puis-je accepter la réalité ? Accepter que tu es mort dans mon ventre. Je t’ai senti dès le début, j’ai senti que tu étais un garçon mais je n’ai pas senti ta mort, peut-être parce que ce n’est pas possible, impossible à accepter .
Nous étions si heureux de ta venue, notre avenir était tracé avec toi. Tu étais notre but, notre raison, comment accepter?
Mon bébé tu me manques tellement, nous ne savons plus quoi faire sans toi, à quoi penser maintenant ?
Je ne vis plus à l’intérieur, mes pensées étaient pour ton futur, à quoi penser, sans toi.
Je dois accepter mais comment accepter l’inacceptable ? Ta place était à nos côtés pas au cimetière.
Comment accepter que mon corps m’ai fait ça ? C’est tellement injuste. Nous étions prêts pour être de bons parents, nous t’aurions tout donné, nous aurions tout fait pour toi mais on n’a pas pu.
Je hais ceux qui me disent que j’en aurais d’autre. Surement mais d’autre, ce n’est pas toi Marcel , personne ne pourra te remplacer.
Je t’aime mon bébé. Je ne pensais pas qu’on pouvait aimer à ce point, je sais maintenant ce qu’est être une mère, mais une maman sans son bébé c’est si injuste.
J’ai accouché de toi sous anesthésie générale alors je n’ai pas senti ton corps sortir du mien mais je dois comprendre que j’ai quand même accouché de toi, que le rêve est terminé.
Nous t’avons enterré en ayant choisi ton petit cercueil en bois. Je dois accepter que ta place est là plutôt que la belle chambre que nous t’avions préparée avec tant d’amour.
Mon ventre que j’aimais tellement qui était ta maison, qui devait porter la vie est devenu un cercueil .
J’ai touché le bonheur du bout des doigts, comment accepter qu’il m’échappe, je me sens si impuissante.
Je suis ta mère, j’aurai du te protéger, j’ai échoué à ma première mission de maman, j’ai si mal mon bébé, je dois te dire adieu mais je ne peux pas, je ne veux pas, je veux que cette phrase « il n’a pas survécu » n’ait jamais été lâchée, que cette nuit n’ait jamais eu lieu, qu’on me laisse terminer ma grossesse, qu’on me laisse accoucher de toi comme prévu, que je te donne le sein pour qu’on prolonge nos moments de complicité. Qu’on fasse de belles photos de famille, puisque grâce à toi nous sommes une famille.
Je veux passer mes nuits à te contempler parce que tu es le plus beau. Je veux pleurer en te conduisant chez la nounou mais être si heureuse de venir te rechercher, je veux te voir faire tes premiers pas, je veux t’entendre dire « maman »………
Tout ces moments je les ai vécu dans ma tête mais ils ne se réaliseront pas, c’est si dur de l’accepter, j’aimerai avoir le pourvoir  de changer l’histoire.
Sache que dans mon cœur tu seras toujours vivant, il battra pour toi, tu seras toujours mon bébé que j’aime plus que tout au monde. Même si j’ai très mal, je ne peux pas nier le bonheur que tu nous as apporté alors merci pour tout, tu nous as changé pour la vie.
Nous ne verrons plus jamais la vie de la même manière et sommes plus que jamais unis.
Même si ma douleur est immense je vais essayer de me relever pour toi et ton papa.
Maintenant je dois apprendre à vivre sans toi et là vraiment je ne sais pas, je tourne en rond sans aucun but, j’ai perdu le fil de ma vie, moi qui ai toujours tout contrôlé, je ne contrôle plus rien !

JE T’AIME MARCEL

Mathilde