Leo, mon premier petit-fils, mon “petit-fils-étoile-filante”

Je n’avais encore jamais eu de petits-enfants. Mon petit-fils Leo m’a rendue grand-mère, tout d’abord à mon insu. Cela s’est passé il y a quatre ans et beaucoup de chemin a été parcouru depuis. Notre fille F. et son compagnon D. habitent à 700 km de nous. Ils ont eu le bonheur d’accueillir ensuite deux autres petits garçons.

L’annonce de la mort de Leo, trois semaines avant la date prévue de sa naissance, nous a placés, mon mari et moi, dans un autre monde, un monde où nous pouvions douter de la réalité de toute chose, où nous étions habités par la douleur de notre fille et de son compagnon, par les mots suffoqués de cette annonce qui revenaient en boucle, inadmissibles, inentendables. Avec la distance géographique en plus, pas tout de suite franchissable.

Dans un premier temps, ma douleur, mon effarement n’étaient que les leurs : leur torture à la hauteur de mon impuissance. Pourrais-je encore un jour appeler “Tounette” ma princesse frappée en plein vol par un “problème d’adulte” dont je me suis rendu compte avoir été épargnée ? Elle devenue si grande, forcée de devenir si grave, plusieurs plombs dans toutes ses ailes. Qu’y pouvais-je ? De cette expérience, ça reste pour moi le pire.

Ces jeunes parents, dans la tourmente, sont restés debout et ont courageusement regardé leur douleur en face autant qu’ils ont pu, reliés tous les deux. Je ne parlerai pas de leur descente aux enfers et le long chemin difficile qui a suivi avant d’émerger, je voudrais juste évoquer ce qui peut être tissé comme secours possibles, parce qu’il y en a.

Ils ont eu la chance de bénéficier d’aides extrêmement précieuses : amis ayant connu leur situation et ouvrant un dialogue généreux et salvateur, amis présents, professionnels de santé à la présence merveilleuse, à la compétence hors-pair dans cette situation de deuil périnatal. Je ne peux que nommer avec reconnaissance le service maternité du CH de X….., car les personnes (des lumières sur pattes !) que j’y ai rencontrées m’ont beaucoup aidée, moi qui en avais besoin aussi ! J’ai vu mon petit-fils le lendemain de sa venue au monde, il était réel, il s’est mis à exister physiquement pour moi, il était “paru” et je pouvais le tenir dans mes bras et examiner ses traits. J’ai vu ce bébé mort entouré de tendresse, d’amour et d’un tel respect, tout ceci rendu possible dans ce service par ces soignants discrètement à l’écoute, qui ne bousculaient rien, disaient en face et tranquillement les mots justes au moment où ils pouvaient être entendus, etc. Je n’oublierai jamais leur accompagnement.

Auparavant, d’autres personnes amies m’avaient aussi fait cadeau de quelques “balises” que j’ai trouvé sur mon chemin quand j’en avais besoin, des notions de base qu’on n’a pas, tant qu’on n’est pas confronté à cette épreuve, par exemple :

– cet enfant a une place dans la famille, disons laquelle, inscrivons-le dans l’arbre généalogique,

– établissons quelque rite autour de son corps pour le relier à nous, porter le berceau ensemble, chanter une berceuse, etc., pour établir un témoignage qui restera dans la mémoire,

– considérer le corps de sa mère dans ses transformations, une femme qui devient une mère (dans ce cas pour la première fois)

– que cet enfant ne tombe pas dans l’oubli, qu’on reparle de lui, etc.

J’insiste là-dessus parce que cette sorte d’émerveillement et de reconnaissance que j’en ai éprouvés m’ont aidés en tant que grand-mère, c’est-à-dire en voyant ma fille et son compagnon comme de “vrais” parents. Ils ont vécu l’accouchement “en symbiose tous les trois” m’a dit la personne qui veillait sur eux à ce moment. Le papa D. connaissait bien Leo, en partie grâce à l’haptonomie, et était accueilli dans la chambre de l’hôpital, où ils sont restés plusieurs jours et pouvaient recevoir des visites et présenter leur bébé à la demande. Ma fille F. avait acquis un corps de mère, elle était devenue mère (princesse devenue reine, même si défigurée par les pleurs, reine d’un accouchement agi en conscience, pleinement assumé). Et moi devenue grand-mère. Et j’ai compris ensuite que j’avais perdu mon petit-fils et une partie de mes larmes a été pour moi.

Pour résumer, je dirais que j’ai vraiment appris beaucoup de choses grâce au passage de Leo, nous avons partagé des moments très forts, il nous a offert un éclair de lumière éblouissante d’amour.

S’il n’y avait qu’un seul message à retenir dans ce que j’ai compris : on n’ose pas parler aux parents endeuillés de leur enfant mort, pensant que ça leur ferait trop de peine. C’est le contraire : ce qui les attriste, c’est de ne plus en parler, qu’il tombe dans l’oubli, que sa vie, si courte soit-elle, puisse être gommée. N’ayons pas peur : parlons de lui quand l’occasion se présente, simplement.

Leo est resté perché sur ma clavicule gauche pendant quelques semaines, léger comme un lutin, sans qu’on sache lequel de nous deux réconfortait l’autre… puis il s’est installé définitivement dans le cosmos de nos cœurs, où il demeure.

Marie-Hélène, grand-mère de Léo