Lettre à la généticienne

Madame,

C’est en voyant, aujourd’hui, et pour la énième fois, un jeune enfant porteur de Trisomie 21 faire du vélo, que je me suis décidée à vous écrire.

Notre rencontre date d’il y a bientôt 3 ans maintenant … Mais ce souvenir reste l’un des pires traumatismes d’une grossesse difficile.

Mon mari et moi étions redirigés vers le CHU, afin d’ y être suivis pour une grossesse compliquée, une petite fille porteuse de T21 et en Retard de Croissance Intra Utérin (RCIU). Grossesse que nous souhaitions poursuivre, pas par préceptes religieux et non sans renseignements préalables même si je l’ avoue, il est bien impossible de savoir exactement où nous mettions les pieds. Nous voulions donner une chance à cet enfant, vivre avec le handicap nous semblant être l’option la moins douloureuse.

Nous refusions cependant l’obstination à la faire naître « à tout prix »  et notre petite fille est finalement décédée in utero à cause d’une embolie placentaire.

Pour revenir à l’entretien que nous avons eu, lors de notre 1er jour de suivi , vous avez été chargée de nous accueillir et de nous éclairer sur la pathologie dont souffrait notre bébé « en construction », puisque votre spécialité, la génétique, la connaît par cœur.

Cet entretien a été d’une telle violence et je pense pouvoir dire également, d’un tel parti prix, qu’ il faut que je revienne vers vous …

Lors de cette entretien, hormis votre mine déconfite à chaque prononciation de « trisomie 21 » et la réalité du handicap à laquelle vous étiez dans le devoir de nous confronter, vous avez dépeint un portrait macabre de cet enfant à venir.

« l’enfant qui ne pourra jamais danser » « l’enfant incapable de faire du vélo » « l’enfant qui ne sera jamais scolarisé » «celui qui n’a pas d’autre issue que celle d’être mis en centre » «l’enfant tellement naïf qu’il sera abusé sexuellement » et aussi « l’enfant qui augmenterait fortement nos chances de séparation »

Quel choc d’entendre, un médecin de CHU, qui plus est « généticien » déballer tous ces arguments sortant d’un autre siècle ! Heureusement que vous nous précisiez ne pas tolérer l’emploi de « mongoles et mongolisme » dans vos cours de faculté !!

Bien sûr, je ne nie pas les réalités sur la déficience mentale, sur l’impossibilité d’une vie « normale », sur le renoncement à certaines choses plus ou moins importantes selon la gravité des atteintes…

Mais aujourd’hui, plus qu’une démarche personnelle et rancunière, je pense simplement au futur, à des parents qui durant une grossesse seront confrontés à un choix mais aussi à des parents qui verront naître, dans votre maternité, un enfant atteint de T21 passée entre les mailles des différents dépistages. Et qui sous le choc de la nouvelle, la peur au ventre se retrouveront face à vous .

Parce que vous serez leur référent, il faut que vous compreniez qu’au-delà des études de bureau, de l’individu numéro et de la vie chiffrée, le monde bouge et que des parents ont décidé de ne pas enterrer vivant leur enfant, que l’on ne place plus ces enfants en centre et que d’être entourés de leur famille dans leur vie courante leur permet de mieux évoluer… Que ces enfants dansent, font du vélo, de l’équitation, de la natation, qu’ils sont intégrés en école normale même si il s’agit encore d’une bataille de tous les jours, c’est important ! Et que certains arrivent grâce à tout ça à acquérir une quasi indépendance !

Pour ces parents désemparés, dont vous serez un pilier de la reconstruction, je vous en supplie ne réitérez pas le discours que vous avez pu nous tenir.

Prenez le temps de contacter certaines associations, nous avons la chance d’avoir dans notre région « les amis d ‘Éléonore » et d’autres groupes de parents très ouverts, sur le net des blogs pullulent pour faire ouvrir les yeux sur la T21 … des enfants que l’on intègre dans une vie de famille normale, pour lesquels on ne ferme pas de porte à l’avance … pour leur laisser le maximum de chance d’évoluer, de s’épanouir avec leur particularité.

Je tiens à être claire, je ne prône pas le non dépistage, ni même le maintien de la grossesse en cas de T21.

Je pense simplement que chaque parent à le droit, en cas de demande, à une réelle information. Et que chaque enfant atteint de T21, naissant à le droit de porter de beaux espoirs pour son avenir et pas le plus lourd des fardeaux dès son premier jour.

J’ai eu la chance durant cette grossesse particulière, par mes propres démarches (et encore là j’inviterai volontiers toutes les maternités à être en contact avec des associations pour pouvoir communiquer les coordonnées aux parents désireux d’information des gens qui baignent dedans) de rencontrer des couples et leurs enfants atteint du syndrome de Down. Il a été très frappant de recueillir de chacun de ces témoignages, un réel anéantissement après la visite du généticien, j’espère qu’ il y a des exceptions !

Peut-être est-ce dû à une perception de l’être humain spécifique à votre spécialité.

Cependant, cette lettre est personnelle, mon témoignage, qui j ‘espère ne vous braquera pas, pourra peut être vous enrichir d’une expérience venue de l’autre côté du miroir.

Si vous m’avez lue jusqu’au bout, je vous remercie de temps que vous m’avez accordé et de la considération que vous m’avez porté.

Très cordialement.

Isabelle.