Le deuil perinatal

Définir le Deuil Périnatal est une lourde tâche. Nous avons donc souhaité la confier à la personne qui nous semblait la plus apte dans ce domaine, Maryse DUMOULIN, Maître de conférences à la Faculté de Médecine de Lille et Médecin hospitalier à l’ Hôpital Jeanne de Flandre, C.H.R.U. de Lille.

Ces tout-petits morts

Le décès d’un nouveau-né en maternité n’est pas un évènement normal et pourtant régulièrement des femmes se rendent en maternité pour accoucher d’un enfant mort ou qui va rapidement mourir. La simultanéité d’une vie attendue et de la mort advenue, plonge les parents dans l’intolérable et l’impensable.

« J’ai envie de dire : qui est-on après un tel drame ? Je suis une maman, sans en être une vraiment, et je ne suis pas une maman, tout en en étant une quand même. Je me sens amputée de ce que j’étais avec cet enfant. » ainsi s’exprime une mère d’un enfant mort à 6 mois de grossesse.

Cependant la mort de ces tout-petits nécessite, de la part de ses parents et de toute sa famille, un véritable travail de deuil. C’est un travail particulièrement difficile et complexe puisqu’il s’agit de « faire » le deuil de quelqu’un qui n’a pas (ou peu) vécu .

En effet, si dès 1977 (et dès 4mois ½ de grossesse), l’Organisation Mondiale de la Santé a conféré à ces nouveau-nés décédés une « réalité médicale » d’enfant, bon nombre d’entre eux n’existent que depuis peu très peu de temps aux yeux de la loi française (8 janvier 1993 et 30 novembre 2001) et demeurent encore actuellement de véritables inconnus sociaux. Pour ces enfants et leurs parents, tout se passe encore trop souvent comme si « rien ne s’était passé », comme s’il n’y avait pas eu d’enfant. La femme n’est pas mère, elle n’a pas accouché : elle a fait une « fausse couche ».

Il n’existe pas (ou peu) de trace tangible de ces vies, si courtes soient-elles. De nombreux parents n’ont pu voir leur enfant, le bercer, ni même l’embrasser.

« Je n’ai qu’aperçu mon enfant, je ne l’ai pas embrassé,….oh que je regrette de n’avoir pas su ou pu le demander….. Quelle mère laisse partir son enfant sans l’avoir embrassé ?»

Si l’enfant naît mort, il n’a pas obligatoirement de prénom, il ne peut pas être légalement reconnu par son père ni porter son nom.

« Il fallait un prénom, il fallait que cela soit concret et …le seul endroit où est écrit son prénom, c’est à l’hôpital, sur son bracelet ». …pour Benjamin, mort-né à 7 mois ½ de grossesse.

« Cependant un détail, qui pour nous n’en est pas un. Sur l’acte d’état civil, Louis apparaît seulement comme mon fils. En effet je suis bien sa mère puisque j’ai accouché de lui et je suis bien aussi l’épouse de mon mari. Mais être son épouse ne signifie pas forcément, ne suffit pas pour signifier que mon mari est le père de Louis. »…pour Louis, mort-né à 6 mois de grossesse.

S’il s’agit du premier enfant mort-né d’un couple non marié, la naissance officialisée par un acte d’enfant né sans vie, ne peut pas donner lieu à l’établissement d’un livret de famille. Et ce n’est que depuis très récemment (19 juillet 2002) qu’il est possible, à la demande des parents, de mentionner cette naissance rétrospectivement à l’acquisition d’un livret de famille (mariage des parents ou naissance du deuxième enfant du couple).

Les parents, effondrés, ne peuvent trouver seuls, les ressources nécessaires à l’organisation d’obsèques et les corps de ces tout-petits font rarement l’objet de funérailles. Ce qu’il advient alors de leurs dépouilles reste souvent ignoré des parents.

« Où allait-il aller ? J’aurais voulu qu’on me le dise, car moi j’avais besoin d’un après…c’est important qu’il y ait un lieu. J’aurais voulu savoir où il allait géographiquement, on ne me l’a jamais dit, cela m’a manqué. Pendant longtemps, même encore maintenant j’y pense. Ce corps là il a existé mais qu’est-il devenu ? ….pour Antoine, mort-né à 6 mois de grossesse.

En cas d’absence de prise en charge par la famille ou par les équipes hospitalières et les communes, les corps des enfants mort-nés deviennent des « pièces anatomiques aisément identifiables » et doivent être incinérées collectivement et anonymement en crématorium.

« Je ne voulais pas qu’on l’incinère avec les débris anatomiques, ça non…..c’était un bébé complet »

« Je sais qu’en novembre, à la Toussaint, j’ai ressenti un manque terrible. J’avais envie d’aller voir ma fille, quelque part avec des fleurs. A ce moment là, j’ai eu besoin de la savoir concrètement quelque part et de lui témoigner mon amour. » … Maman d’Adèle, mort-née à terme

Le déni social et juridique, qui entoure encore trop souvent ces morts de tout-petits risque d’obérer le travail de deuil des parents. Au traumatisme du décès périnatal s’ajoute celui de la non-reconnaissance civile et sociale de leur enfant (parce qu’il est décédé) et par là même, la non-reconnaissance de leur douleur.

« En ce qui me concerne, je poursuis mon chemin dans la perte de ma fille (que l’on s’est décidé à prénommer Héloïse), très isolée socialement (le cercle d’amis s’est réduit d’une manière que je n’aurais pas pu imaginer), avec une alternance très fatigante de hauts et de bas, et également avec beaucoup d’amertume et de frustrations face à l’incompréhension de la société devant ce que je vis! Notre fille n’a existé que pour nous et ça me révolte! … » Maman d’Héloïse, mort-née à 9 mois de grossesse

Le nouveau-né décédé n’en demeure pas moins un enfant pour le couple qui l’a conçu et également, un patient pour les soignants de maternité. Pour prévenir les complications psychopathologiques qui risquent de survenir chez la mère, le père mais aussi les frères et sœurs déjà nés ou à venir, les professionnels de périnatalité se doivent de mettre en place une prise en charge spécifique de ces familles. Certaines équipes médico-administratives, dont la nôtre au C.H.R.U. de Lille, proposent désormais, sans l’imposer, un accompagnement adapté, destiné à donner une réalité à l’enfant décédé pour l’inscrire dans l’histoire de sa famille et permettre à ses parents de mieux s’en séparer et d’entamer le deuil.

Les soignants proposent aux parents, pour les préparer et les aider à accueillir leur enfant décédé, de le voir, le toucher, de lui donner des vêtements. Le « fœtus » devient effectivement un enfant quand il est lavé, habillé et présenté dans les bras d’un soignant.

« Il était très, très beau, il ressemblait fort à son grand frère. De le voir, j’étais fière de mon bébé, il était beau, ce n’était pas un monstre »…..pour Antoine, mort-né à 5 mois ½ de grossesse.

Des photographies sont réalisées et remises aux parents, avec le bracelet de naissance, s’ils le désirent. Les traces ainsi constituées leur permettent de se fabriquer des souvenirs. La perte de l’enfant est ainsi matérialisée et le travail de deuil peut s’enraciner.

« Les photos cela m’a permis de me dire : Il est là, et je sais que je ne vais pas l’oublier. Si je n’avais pas eu les photos de mon premier bébé, peut-être qu’à la force de chercher trop à quoi il ressemblait, je n’aurais de cesse de penser à lui et là peut-être que ma fille (enfant puîné) en souffrirait »…..pour Mathilde, décédée à 5 mois de grossesse.

Un référent médical et un référent administratif aident les parents dans les démarches difficiles et complexes de déclarations à l’état civil et d’organisation des funérailles. Quand le couple est dans l’incapacité psychique et/ou matérielle de les assumer, l’hôpital et la commune peuvent en assurer totalement la prise en charge. Dans notre centre hospitalier, les parents ont également la possibilité, s’ils le souhaitent, de dire au revoir à leur enfant par un rituel d’adieu religieux ou profane. Il se déroule dans la chambre mortuaire ou dans le lieu multicultuel. Des habits mortuaires et des objets rituels sont souvent amenés par les familles, à cette occasion, pour entourer l’enfant dans le cercueil. Il nous semble que permettre aux parents la libre expression de rituels funéraires religieux ou laïques, les aider à l’organisation des funérailles et créer des lieux de repos respectueux pour ces tout-petits morts, c’est leur donner une existence sociale et symbolique.

« La famille et les amis étaient présents lors de l’enterrement de Louis. Ils étaient présents lors de l’acte officiel, civil, l’acte qui marquait la mort et donc la vie de Louis. Ce partage de notre souffrance et de la disparition de Louis a eu lieu essentiellement parce qu’il y a eu ce cadre officiel » ……..pour Louis décédé à 6 mois de grossesse.

Pour les soignants de maternité, le travail d’accompagnement de ces familles est là pour donner acte : le décès périnatal est un évènement majeur dont les effets à long terme ne peuvent être gommés. Le deuil de cette perte passe par l’acceptation du fait que certaines blessures ne guérissent jamais complètement, mais qu’on peut néanmoins vivre avec, comme avec des cicatrices.

« J’ai refait surface après le choc et l’abattement dus à la mort de mon bébé, grâce à nos visites au cimetière où repose notre fils, grâce aux photos. Je me sens prête à prouver à tous que parler de son bébé parti trop tôt et montrer sa photo à qui en exprime le désir, est à chaque fois un bonheur immense car ces instants merveilleux nous permettent de faire exister notre enfant et ça cette reconnaissance, c’est la véritable guérison »……pour Baptiste, mort-né à 5 mois ½ de grossesse

Au prix d’un difficile travail de deuil, les parents peuvent envisager re-sourire à la vie, revivre avec plaisir, voire concevoir un autre enfant sans que cela signifie l’oubli du bébé mort.

Ce travail autour de la mort, bien que, difficile pour les personnels soignants et administratifs, toujours douloureux pour les parents, est source d’un enrichissement mutuel et un progrès vers plus d’humanité.