Amaury et Constance

Votre histoire

Cela fait deux ans et demie que nous vous attendions …. Passée par des mois de traitements et de nombreuses déceptions, c’est finalement le 7 octobre 2011 que je suis tombée enceinte avec une aide médicale. L’échographie des « un mois » nous confirmera la présence de deux petits cœurs …. La surprise et l’émotion sont grandes, les débuts d’une projection se font, on allait être une famille ! Nous restons sur nos gardes, les débuts d’une grossesse gémellaire sont toujours fragiles et on attendra sagement l’échographie des douze semaines pour confirmer tout cela. Vous poussez bien, chacun dans votre poche. On m’a arrêtée de travailler car c’est une grossesse précieuse. Je contemple mon ventre pousser jour après jour vite. Je vous sens très tôt bouger, et oui, vous êtes deux. La période de Noël est une vraie fête, vous n’êtes pas encore là mais un bonheur indicible m’habite.

Et puis il y a ce dimanche soir où je vois une perte étrange qui me conduira à la maternité le lendemain matin où une consultation confirmera une menace d’accouchement prématurée très sévère. On me dit que je peux vous perdre si on fait un cerclage car une poche est trop engagée. Tout s’arrête, c’est le choc. On me dit de m’allonger de façon très stricte chez moi. Je reviens chez moi avec la conscience que je m’apprête à faire la chose la plus dure de ma vie : lutter jour après jour pour vous garder le plus longtemps dans mon ventre, on est à 22 semaines ….

Deux jours après, la deuxième échographie vous montrera en pleine forme, vous poussez bien, très bien même, pour une grossesse gémellaire. C’est cette écho aussi qui nous dira qu’à côté du petit garçon, il y a une petite fille. Je retourne m’allonger, je vous parle, je vous dis de vous accrocher. Les journées sont dures moralement, seule, sur mon canapé. Je sais très bien que si vous naissez vos chances de survie sont minimes.

Trois jours passent et le samedi, des contractions insistantes et régulières secouent mon ventre. Nous décidons d’aller à l’hôpital directement. Et là commence une lutte contre la montre. Des perfusions de médicaments arrivent à ralentir les contractions et pendant 24 heures je lutte pour essayer de vous garder …. en vain. Le dimanche soir, des violentes contractions très douloureuses me font hurler. Entre deux contractions, on décide de discuter de votre sort. On nous dit qu’on essaiera de vous sauver et puis finalement non ; car le protocole dit que c’est à partir de 23 semaines que l’on prend en charge les bébés très prématurés et pas à 22 … On discute, le petit garçon est d’un bon poids, peut-être peut-on essayer quelque chose ? Le pédiatre est d’accord mais on sent qu’il ne veut pas nous dire non.

L’équipe médicale décide de me descendre en salle de naissance. Et là c’est un accouchement classique qui se prépare : la pose de la péridurale, l’attente que le travail se fasse et après deux heures,  je dois pousser pour que mon petit garçon sorte. Votre père est à côté de moi. Notre premier accouchement, la mort de notre premier enfant.

On emmène Amaury, car il y a Constance qui est encore dans moi. On espère que les contractions se calment, parfois cela arrive et on arrive à garder le deuxième. Là aussi, faux espoir car après quelques minutes, le travail recommence de plus belle et Constance commencer à souffrir de la situation. On sort le papa de la salle car là, l’accouchement devient très chirurgical. Amaury était en position pour descendre, mais sa sœur était encore en transverse dans mon ventre.  Aussi horrible que cela fut, l’équipe médicale m’a énormément aidée.

Voilà c’est fini, vous êtes nés. Amaury vivra une heure et Constance quelques minutes. Parce qu’ils sont nés à 22 semaines et non à 23, aucune aide médicale ne leur a été apportée. Dur à accepter. Le pédiatre a décidé de ne rien tenter. Que dire ?

Votre père après discussion avec le pédiatre décide d’aller vous voir et revient pour me dire que vous êtes tous beaux et m’encourage à vous voir aussi. La force me manque et il me faudra un peu plus de temps. Je me décide et vous contemple enfin l’un à côté de l’autre, petits mais si beaux. Vous avez déjà vos traits bien à vous. Je vous touche, vous caresse et vous dit au revoir. Je n’ai pas la force de vous prendre dans les bras, et cela, je l’ai toujours regretté.

Les heures qui suivent sont un cauchemar. Épuisée car je n’ai pas dormi depuis deux jours, je remonte dans ma chambre le ventre vide. Le lendemain, on nous dit qu’il faut vous déclarer à l’état civil, vous donner des prénoms. Autre choc. Si quelques semaines plus tard, nous verrons la nécessité et l’importance de la reconnaissance de votre naissance, nous n’étions pas prêts à rendre plus concrète votre perte.

Mais nous n’avons pas le choix : vous êtes nés vivants. Que c’est douloureux de discuter de vos prénoms alors que vous n’êtes plus là. Ce qui aurait dû être une fête, est un traumatisme. Votre père et moi parlons, beaucoup pendant deux jours, afin d’essayer de comprendre l’incompréhensible, essayer de trouver du sens à ce qui n’en a pas. On se  sent abandonnés par la vie, trahis. Nous faisons face tous les deux, très proches dans la douleur.

Le retour à la maison se fait dans le soulagement. Nous décidons d’emballer les affaires de naissance déjà accumulées. Elles iront chez une amie en attendant de savoir quoi en faire. J’ai les suites d’un accouchement classique, mon corps vous réclame à cors et à cris, la montée de lait que j’ai en témoigne, mais je n’ai pas de bébés pour la soulager. Il faudra organiser vos funérailles une semaine et demie après l’accouchement. Vos grands parents viennent nous soutenir, la vue des deux petits cercueils est insoutenable.

Nous repartons, votre père et moi, dignes, avec chacun une boîte contenant vos cendres. Nous ferons la route jusqu’à la mer où nous les disperserons. Nous vous regardons vous envoler, et essayons de vous dire un dernier adieu. Une petite motte de cendres s’accroche à un brin d’herbe pris dans le vent, s’accroche et résiste. Un petit bout de toi, ma fille, qui résiste avant de t’envoler vers le ciel.

La vie a continué, j’étais en congé maternité pour plusieurs mois mais je n’avais pas de bébé à m’occuper. Il a fallu se battre pour trouver une raison de me lever tous les jours. Le retour au travail était impossible. Il a fallu commencer un accompagnement, attendre le rapport médical, faire des projets, essayer d’occuper les journées, commencer votre deuil, mais arrive t-on  faire le deuil de son enfant ? Deux ans après, je ne crois pas, une acceptation se met en place, au mieux. On a dû apprendre à vivre sans vous, à faire le deuil d’un projet familial, heureux.

Le rapport médical confirmera une infection qui a provoqué l’accouchement prématuré. En accouchant, la mère sauve sa vie car l’infection peut se propager. On ne sait toujours pas d’où cette infection vient, chorioamniotite est son nom médical. Cette incompréhension est le plus dur à accepter, ne pas comprendre pourquoi vous êtes partis, si tôt, si violemment.

Il n’y a pas une journée qui passe sans que je ne pense à vous, vous me manquez toujours beaucoup mes deux anges.

Maman, qui vous aime fort fort fort.